Dix ans après les attentats du 13 novembre 2015, Salim Toorabally peine encore à retrouver une vie apaisée. Cet agent de sécurité, devenu malgré lui l’un des héros du Stade de France pour avoir empêché un kamikaze d’entrer dans l’enceinte, raconte dans un entretien accordé à L’Equipe, une soirée gravée dans sa mémoire et les blessures invisibles qu’elle continue de raviver. Entre fierté, séquelles psychologiques et tentatives de reconstruction, son récit éclaire l’envers humain d’un acte qui a sauvé des vies.
Arrivé en France en 1990 depuis l’île Maurice, Salim Toorabally n’imaginait pas qu’une simple mission d’appoint au Stade de France ferait basculer le cours de son existence. Le 13 novembre 2015, pour sa toute première soirée de travail dans l’enceinte dionysienne, cet agent de sécurité incendie se réjouissait d’une ambiance sportive et légère, lorsque s’est présenté à la porte L un jeune homme déterminé à entrer sans billet. Toorabally, fidèle au protocole, lui refuse calmement l’accès. L’individu tente un subterfuge en se mêlant à un autre spectateur, mais l’agent s’interpose une seconde fois, bras levés pour barrer la route. Une conversation s’engage, brève et troublante. « Je dois rentrer, il faut que je rentre », répète le jeune homme, désorienté mais non agressif. Ignorant qu’il s’agissait de Bilal Hadfi, l’un des kamikazes missionnés par l’organisation État islamique, Toorabally signale son comportement étrange à ses collègues afin d’éviter toute intrusion par une autre entrée. Le réflexe s’avèrera déterminant.
Lorsque résonnent les deux premières explosions aux portes H et D, la terre tremble sous les pas. La fille de l’agent, 15 ans à l’époque, l’avait mis en garde avant son départ en évoquant l’évacuation de l’équipe d’Allemagne pour alerte à la bombe. Cette réminiscence percute immédiatement l’esprit du père. L’odeur de brûlé, dit-il, ne l’a jamais quitté depuis. Après s’être mis à l’abri, il porte secours à une personne touchée à la jambe en attendant la protection civile. Quelques instants plus tard, Hadfi déclenchera sa ceinture explosive en périphérie du stade, devenant le troisième kamikaze à mourir aux abords de l’enceinte.
Le traumatisme ressurgit pleinement quelques jours après, lorsqu’au commissariat de Bobigny il se retrouve face aux photographies du corps démembré du terroriste. Il reconnaît instantanément le visage de celui qu’il avait empêché de pénétrer dans le stade. L’image le hante encore. Pour lui, la vision de ce jeune homme, à peine vingt ans, endoctriné jusqu’à l’autodestruction, heurte profondément l’idée qu’il se fait de l’humanité. Les symptômes s’installent, douleurs thoraciques, anxiété fulgurante, fragilités psychologiques qui s’immiscent dans son quotidien. Devenir partie civile au procès des attentats, dit-il, fut une étape nécessaire mais éprouvante.
Après l’attentat, il poursuit sa carrière dans la sécurité incendie, d’abord sept années au sein de TF1, puis chez Chanel, mais les réminiscences sont trop présentes. Les locaux, les routines, la pression médiatique en arrière-plan, tout ramène à cette nuit. L’épuisement psychique le mène à une tentative de suicide. Il renonce alors à ce métier qu’il ne peut plus exercer sereinement et entame une reconversion pour devenir chauffeur de taxi.
Pourtant, malgré les cicatrices, une part de fierté subsiste. Son geste a été reconnu internationalement. Invité par la NFL pour intervenir lors d’une conférence annuelle, honoré par l’Université du Mississippi, reçu en tête-à-tête par François Hollande, il a également donné plusieurs conférences à Londres. Ces distinctions, dit-il, lui rappellent que face à un soldat de Daech, il a eu « la bonne réaction ». Une réaction instinctive, simple, mais qui a sans doute évité une hécatombe dans les tribunes dionysiennes.
Sources :
L’Équipe – Interview de Sébastien Tarrago publié le 12 novembre 2025 – lien