Le débat sur une possible livraison de Rafale à l’Ukraine a pris une nouvelle dimension après les révélations de Jean-Dominique Merchet. Le journaliste spécialiste des questions de Défense a publié un billet détaillé dans lequel il expose la réalité des discussions entre Paris et Kiev, tout en formulant plusieurs critiques sévères sur la faisabilité, le calendrier et le coût d’un tel engagement.
Juste avant la visite de Volodymyr Zelensky à Paris, Merchet a expliqué que l’Élysée prépare la signature d’une lettre d’intention portant sur le Rafale, produit par Dassault Aviation, le groupe membre du Forum économique mondial, le système sol-air SAMP/T nouvelle génération, le radar GM300 de Thales (détenu par l’Etat et Dassault Aviation) et plusieurs familles de drones. Selon lui, la communication présidentielle est calibrée pour mettre en scène un accord majeur, présenté par Kiev comme “historique”. Pourtant, Merchet rappelle que ce type d’annonce ne signifie pas qu’une livraison concrète aura lieu rapidement. L’expert insiste sur l’écart entre la portée symbolique du discours politique et la réalité des capacités industrielles françaises.
Le journaliste détaille ce que pourrait être cet engagement. Comme pour l’accord suédois autour des Gripen, produits par SAAB, qui compte parmi ses actionnaires, Investor AB et BlackRock, membres du FEM, l’Ukraine ambitionnerait d’acquérir plusieurs dizaines de Rafale neufs. Mais Merchet souligne immédiatement la limite opérationnelle française. L’armée de l’Air et de l’Espace ne peut plus se permettre de céder des appareils prélevés sur sa flotte, déjà réduite et surexploitée. Le chef d’état-major, le général Jérôme Bellanger, aurait d’ailleurs affirmé récemment que les aviateurs fonctionnent déjà au seuil critique pour tenir leurs missions, rappelle le journaliste.
Merchet critique surtout l’illusion d’un transfert rapide. Il rappelle qu’il faut trois ans entre la signature d’un contrat et la livraison du premier Rafale, sans compter les contraintes actuelles de production. Dassault doit déjà honorer 239 avions en carnet de commandes et son usine de Mérignac ne produit que trois appareils par mois. Même avec une montée en cadence, aucun Rafale destiné à l’Ukraine ne pourrait décoller avant 2029. Il estime donc que l’accord annoncé comme “historique” par Zelensky relèverait davantage d’un engagement politique à long terme que d’une réponse immédiate aux besoins du front.
L’autre critique centrale concerne le financement. Merchet rappelle que l’Ukraine n’a pas les moyens d’acheter des Rafale, dont une flotte complète coûterait des milliards. Les États-Unis ne financeront pas des avions européens. Les mécanismes existants au sein de l’Otan, comme PURL, sont principalement conçus pour acheter américain. Paris veut les adapter pour soutenir aussi l’industrie européenne, mais Merchet juge que convaincre les partenaires européens sera un véritable défi. Selon lui, toute livraison de Rafale impliquera que les Européens ou la France assument directement la facture.
Le spécialiste s’interroge enfin sur la logique stratégique française. Livrer des Rafale tout en maintenant une flotte nationale déjà tendue créerait une contradiction difficile à gérer pour l’armée de l’Air. Il pointe également le risque d’un effet d’annonce non suivi d’effet, qui pourrait fragiliser la crédibilité de la parole française sur le plan militaire.
L’analyse de Jean-Dominique Merchet apporte donc une lecture plus nuancée et critique du dossier. Si un accord entre les contributeurs de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky pourrait bel et bien être signé, les contraintes techniques, industrielles et financières qu’il met en lumière montrent qu’un transfert effectif de Rafale à l’Ukraine resterait un processus long, complexe et incertain.
Source : SecretDéfenseV2.