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Guerres de l’opium : quand l’Europe plongea la Chine dans un siècle d’humiliation

Au XIXᵉ siècle, la Grande-Bretagne puis la France imposent à la Chine l’ouverture de son marché à l’opium, au nom du commerce et de la puissance. Ces « guerres de l’opium » inaugurent une ère d’asservissement économique et politique, marquant durablement l’histoire du pays. Retour sur une page sombre du colonialisme européen, où le profit fit plier un empire millénaire.

Tout commence à la fin du XVIIIᵉ siècle, lorsque la Compagnie britannique des Indes orientales découvre l’immense rentabilité du commerce de l’opium. Cultivé en Inde, ce narcotique devient la clé d’un troc pervers : en échange du thé, de la soie et de la porcelaine dont raffole l’Europe, les Britanniques inondent la Chine d’un poison illégal mais lucratif. À Canton, une caisse de 65 kilos achetée 240 roupies se revend dix fois plus cher. À la veille de la première guerre, en 1839, ce trafic représente 2 600 tonnes d’opium par an et ravage la santé de près de quatre millions de Chinois.

Pour l’empire des Qing, le danger est vital. L’empereur Daoguang charge son gouverneur Lin Zexu de mettre un terme à ce fléau qui mine l’armée et ruine les finances du pays. Mais Londres voit les choses autrement : il faut, dit-on, « équilibrer la balance commerciale » et défendre la « libre circulation des biens ». En juin 1839, après la saisie et la destruction de 1 188 tonnes d’opium par Lin Zexu, la Grande-Bretagne trouve son prétexte. Un corps expéditionnaire est dépêché et la première guerre de l’opium éclate.

L’armada britannique, forte de seize navires et de quatre mille hommes, écrase les défenses chinoises. En 1842, le traité de Nankin impose à Pékin l’ouverture de plusieurs ports, le versement d’indemnités et surtout la cession de Hong Kong. Fait révélateur, l’opium n’y est pas mentionné : il reste officiellement illégal, mais son commerce est désormais toléré, protégé par les baïonnettes.

La défaite affaiblit profondément la dynastie Qing. Les missions chrétiennes se multiplient, les révoltes paysannes, comme celle des Taiping, éclatent sur fond de misère. La France, d’abord en retrait, réclame à son tour sa part du butin colonial. En 1856, l’affaire de l’Arrow, un navire soupçonné de contrebande, sert de nouveau prétexte à la guerre. Britanniques et Français reprennent les armes contre un empire exsangue. La seconde guerre de l’opium s’achève en 1860 par la prise de Pékin et le sac du Palais d’été. L’humiliation est totale : la Chine doit légaliser le commerce de l’opium, ouvrir de nouveaux ports, garantir la liberté de culte et de navigation, et même exporter sa main-d’œuvre, les fameux coolies.

À l’ombre de ces guerres, la Russie d’Alexandre II profite de la situation pour s’emparer de territoires au nord et fonder Vladivostok, « domination de l’Orient » en russe. La Chine, dépecée et dépendante, entre dans ce que les historiens appelleront plus tard le « siècle d’humiliation ». Il faudra attendre la révolution maoïste de 1949 pour que le pays retrouve sa souveraineté et sa fierté nationale.

Cette mémoire, profondément ancrée dans la conscience chinoise contemporaine, reste un repère symbolique et politique majeur. Comme le note l’historien Gérard Bouan, l’« hypermnésie » des guerres de l’opium nourrit aujourd’hui encore l’ambition de Pékin : ne plus jamais plier sous la domination des « barbares aux cheveux longs ».
Il faudra pourtant attendre 1912, sous l’impulsion d’un mouvement international emmené par les États-Unis, pour que l’opium soit enfin interdit à l’échelle mondiale lors de la première convention de La Haye sur le trafic de stupéfiants.

Sources :
Le Temps – « Histoire. Quand les Européens inondaient la Chine d’opium », 17 octobre 2025 – letemps.ch

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