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Portrait d'Eon. Image : @Augustin de Saint-Aubin

Le Chevalier d’Éon : Diplomate, espion, franc-maçon et pionnier de la transidentité

Charles-Geneviève d’Éon de Beaumont, dit le Chevalier d’Éon, fut l’un des personnages les plus troublants du XVIIIe siècle, à la fois officier, diplomate, espion royal et membre de la franc-maçonnerie. Mais au-delà de ses fonctions publiques, il incarne également une figure inédite : celle d’un précurseur du transgenrisme, bien avant l’émergence des concepts modernes d’identité de genre.

Formé à Paris, intellectuel brillant et escrimeur redouté, d’Éon intègre rapidement les cercles du pouvoir. Il est initié à la franc-maçonnerie, cercle influent de l’époque où l’on croisait nombre de hauts fonctionnaires, savants et penseurs des Lumières. Cette appartenance, peu médiatisée aujourd’hui, lui a assuré un réseau utile pour ses missions diplomatiques et secrètes.

Il devient un rouage essentiel du « Secret du Roi », ce réseau d’espionnage personnel mis en place par Louis XV en marge de la diplomatie officielle. Ses missions le mènent en Russie, où il se déguise en femme pour approcher la tsarine, et à Londres, où il joue un double jeu de charme et de renseignement.

Une identité de genre transgressive

D’Éon vécut 49 ans en homme, puis 32 ans en femme. Ce changement d’identité, partiellement motivé par des stratégies de survie politique, fut aussi l’expression d’une complexité intime qu’on peine encore à qualifier. Ses contemporains s’interrogèrent sans relâche sur son sexe, au point qu’un tribunal londonien trancha en 1777 après que des bookmakers se soient emparés de la question : d’Éon était une femme.

Le roi Louis XVI officialisa cette version, imposant au chevalier assigné à résidence de vivre publiquement en femme, sous peine de perdre sa rente. Désormais appelée « la chevalière d’Éon », il était habillé par la modiste royale Rose Bertin, sur ordre de Marie-Antoinette. Ce renversement d’identité sociale, fut une première historique, même si d’Éon ne sembla pas se satisfaire de la situation. Il se présenta en effet à un événement organisé par le roi avec une barbe mal rasé et des éperons, tandis que sa loge continuait à l’appelé Monsieur dans leur correspondance.

Figure fondatrice du transgenrisme ?

De nombreux historiens et penseurs contemporains voient en d’Éon un précurseur du transgenrisme : non pas en raison d’une orientation sexuelle, mais par son accoutrement.

Le terme « éonisme » fut d’ailleurs inventé au début du XXe siècle pour décrire les hommes adoptant une identité sociale ou vestimentaire féminine. D’Éon, que la science du XIXe siècle disséqua (littéralement) à sa mort, reste une icône des questions de genre, mais aussi du rôle des sociétés secrètes dans les transformations sociales.

Fin de vie et postérité maçonnique

Rué dans la misère, abandonné par la France révolutionnaire, d’Éon meurt à Londres en 1810. Lors de sa toilette mortuaire, on découvre que la vieille dame était biologiquement un homme. Son nom est gravé sur le mémorial du cimetière de St Pancras Old Church. Il laisse aussi une postérité idéologique et symbolique qui continue d’inspirer : aux féministes, aux historiens du genre, et aux maçons passionnés par les figures d’ambiguïté et de liberté.

Le chevalier d’Éon, à la fois homme et femme, patriote et exilé, serviteur du roi et provocateur politique, fut peut-être l’une des premières personnes trans de l’époque moderne.

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