Par son ancrage associatif et sa force narrative, le catholicisme social a longtemps agrégé d’importants pans de la société française. Le processus de sécularisation a naturellement réduit son poids, d’autant que les cathos de gauche sont minoritaires parmi les catholiques pratiquants. Pourtant les débats sociétaux, économiques et éthiques actuelles nécessitent l’existence d’un tel courant politique et spirituel en France, qui fut considérée comme la fille ainée de l’Église.
La baisse simultanée de l’empreinte religieuse et des grands récits politiques, fondements du catholicisme social, a marqué son déclin. Le nombre de prêtres ordonnés est passé de 1 000 en 1950 à 88 en 2023. La classe laborieuse, autrefois affiliée aux partis communiste et socialiste, se tourne désormais vers le Rassemblement National ou se détourne des urnes. La gauche chrétienne a suivi l’évolution sociologique de l’électorat progressiste, principalement composé d’urbains diplômés.
Les racines du catholicisme social
Ce courant structurant est apparu au XIXe siècle avec l’émergence du travail ouvrier sous l’effet de la révolution industrielle. La Société de Saint-Vincent-de-Paul, fondée par Frédéric Ozanam, et les patronages paroissiaux ont pris leur essor. En 1891, l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII a abordé les questions sociales induites par le changement industriel, établissant les bases de la doctrine sociale de l’Église, qui se remettait encore difficilement de l’époque révolutionnaire.
Des intellectuels croyants comme Albert de Mun et Marc Sangnier ont milité pour une réconciliation des travailleurs avec l’Église, créant des mouvements tels que la JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) et la JAC (Jeunesse agricole chrétienne) durant l’entre deux-guerres. La figure symbolique du prêtre-ouvrier a marqué cette période, bien que la syndicalisation croissante de ces prêtres à la CGT ait conduit Rome à interdire cette double casquette après la Seconde Guerre mondiale.
Une nouvelle génération après guerre
Après la guerre, la pensée d’Emmanuel Mounier et son personnalisme, mettant l’humain au centre de l’action publique, a inspiré des figures comme Jacques Delors.
Le clivage idéologique au sein des fidèles est devenu plus visible depuis les années 1960. Le 8 décembre 1965 s’achève le IIe concile œcuménique du Vatican, plus connu sous le nom de Vatican II, conduit sous la houlette du pape Jean XXIII, puis de Paul VI. Il consacre l’ouverture de l’Église catholique à la modernité. Une nouvelle vague de jeunes chrétiens s’engagent alors en politique, mettant en avant l’esprit charitable du Christ, la tolérance et la doctrine sociale de l’Église.
Beaucoup de jeunes catholiques se sont engagés dans les luttes de leur génération après mai 1968, marquant véritablement la naissance des « cathos de gauche ». Dès le mois de mars 1968, un colloque se tient à Paris sur le thème « Christianisme et révolution ». « Nous ne sommes pas sans savoir que cette révolution implique une remise en cause du christianisme dans ses formes de pensée, d’expression et d’action », était-il indiqué dans le communiqué final.
L’histoire récente des cathos de gauche
L’exemple de la revue Limite témoigne de la difficulté pour les cathos de gauche à surnager. Il s’agissait d’une revue trimestrielle française publiée de septembre 2015 à octobre 2022, sous-titrée « Revue d’écologie intégrale. » Fondée par de jeunes intellectuels chrétiens de divers horizons politiques, la revue a suscité des critiques pour ses positions perçues comme proches de mouvements conservateurs comme La Manif pour tous et des Veilleurs, ainsi que pour une supposée dérive vers une ligne « néo-catho de gauche » prônant l’écologie radicale et l’accueil des migrants.
Bio-conservatrice et décroissante, Limite promouvait une écologie intégrale, critiquant l’idéologie du progrès et défendant des valeurs mesurées. La revue était contre le transhumanisme, la GPA, la PMA, le mariage homosexuel et l’excès de contraception, tout en appelant à limiter les impacts sur l’environnement, la vie sociale et l’économie.
Limite adoptait un antilibéralisme inspiré par Jean-Claude Michéa, philosophe Français spécialiste de Georges Orwell, rejetant le libéralisme économique et politique. La publication a cessé en 2022, encourageant ses lecteurs à devenir « libertaires chrétiens » dans son dernier numéro.
La mort de Jacques Delors, qui était toutefois un chantre du libéralisme économique, en décembre 2023, a tout de même marqué la fin d’une époque, mais des héritiers comme Dominique Potier continuent de se revendiquer du catholicisme social.
Aujourd’hui, les « cathos de gauche » se sentent plus libres d’articuler leur foi avec leurs convictions, même si leurs rangs sont décimés. Le 18 juin 2024, avant le premier tour des législatives, 10 000 chrétiens, dont des représentants protestants, ont publié une tribune contre le RN, suivie d’un rassemblement à Paris.
Ainsi le catholicisme a eu du mal a faire bon ménage avec le marteau et la faucille, mais aussi la laïcité promu par le Grand Orient de France. De plus, les cathos de gauche sont minoritaires chez les catholiques pratiquants. Une étude Ifop montre que les pratiquants réguliers sont deux fois plus nombreux à droite qu’à gauche. La gauche promeut pourtant des valeurs qui sont très proche du christianisme. N’est-il pas dit dans la bible qu’ « Il est plus aisé qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille, qu’il ne l’est qu’un riche entre dans le Royaume de Dieu » ?