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Image : Chat GPT X X-Pression média.

Jumeaux numériques de la Terre : un outil climatique ou un cheval de Troie pour la géoingénierie ?

Les jumeaux numériques de la Terre, ces simulations numériques ultra-sophistiquées de notre planète, promettent de révolutionner la lutte contre le dérèglement climatique. Mais dans les colonnes d‘Uzbek & Rica, certains chercheurs alertent : derrière la promesse d’une science prédictive et rationnelle pourrait se cacher un virage technocratique aux implications géopolitiques majeures. Voire une légitimation déguisée des techniques controversées de géoingénierie.

L’ambition des projets de jumeaux numériques est claire : modéliser l’ensemble des systèmes terrestres – climatiques, océaniques, biologiques – pour anticiper les impacts des politiques climatiques. Inspirés de la physique et de la météorologie, ces modèles sont capables de simuler des scénarios à l’échelle planétaire, jusqu’à intégrer des décisions humaines dans leur calcul.

Mais pour Andrea Saltelli, spécialiste de l’épistémologie de la modélisation, ces dispositifs consacrent une vision réductionniste de la nature, considérée comme une machine manipulable à volonté. Cette représentation du vivant, froide et algorithmique, occulte les dynamiques politiques, sociales et culturelles.

Le risque d’une normalisation de la géoingénierie

Plusieurs chercheurs, dont Delf Rothe (Université de Hambourg), s’inquiètent de l’usage politique potentiel de ces jumeaux numériques. Leur crainte : que ces outils, sous couvert de neutralité scientifique, préparent l’opinion à la géoingénierie, notamment aux techniques de gestion du rayonnement solaire ou d’ensemencement en fer des océans.

Dans un article publié dans Nature en 2023, certains scientifiques évoquent déjà le recours aux jumeaux numériques pour « tester » les effets d’interventions climatiques massives. Le projet Planet Parasol, aux États-Unis, simule ainsi l’impact d’injections d’aérosols dans la stratosphère pour réduire la température mondiale. Un outil séduisant, mais qui passe sous silence les effets secondaires dévastateurs, comme les perturbations des moussons et les menaces sur la sécurité alimentaire mondiale.

Une science politique maquillée en objectivité

Pour Marine de Guglielmo-Weber, chercheuse à l’IRSEM, ces jumeaux numériques véhiculent une illusion : celle d’un monde prévisible et maîtrisable, alors qu’ils sont le produit de choix politiques et scientifiques subjectifs. Dans leur dernier ouvrage Le Grand retournement, elle et le journaliste Rémi Noyon dénoncent l’infiltration progressive de la géoingénierie dans les politiques climatiques à travers ces interfaces visuelles attrayantes et apparemment rationnelles.

Plus grave encore, ces outils pourraient être accaparés par une minorité d’acteurs occidentaux, techniciens ou industriels, au détriment d’un débat démocratique sur l’avenir de la planète. L’Union européenne elle-même évoque, dans un rapport du conseil scientifique de la Commission européenne (SAPEA) 2024, l’usage des jumeaux numériques climatiques pour élaborer des scénarios de géoingénierie solaire.

Vers une gouvernance algorithmique du climat ?

La critique majeure tient dans le fait que ces modèles dépolitisent les enjeux climatiques, en écartant les incertitudes géopolitiques et les asymétries de pouvoir. « Qui intègre dans son modèle le paramètre Donald Trump ou Vladimir Poutine ? », ironise Marine de Guglielmo-Weber.

Selon Delf Rothe, ces outils pourraient à terme confisquer la décision politique, en la transférant à un cercle restreint d’experts capables de les manipuler. Un glissement vers une technocratie climatique, où l’algorithme justifie l’action au nom de l’efficacité, sans débat démocratique réel.

Source : Uzbek & Rica

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