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Andrija Artukovic. Image : DR

Andrija Artuković : L’extradition du « Boucher des Balkans » et les mystères de la protection américaine

Le 12 février 1986, Andrija Artuković, un homme politique croate de 86 ans, fut extradé des États-Unis vers la Yougoslavie pour y être jugé pour des crimes de guerre commis durant la Seconde Guerre mondiale. Surnommé le « boucher des Balkans » ou encore le « Himmler yougoslave », Artuković fut l’un des personnages les plus sombres de l’histoire de la collaboration nazie en Croatie.

Né à Klobuk, dans l’Empire austro-hongrois, Artuković suit une scolarité marquée par sa radicalisation. Après des études de droit à l’Université de Zagreb, il se lance dans la politique en rejoignant le mouvement oustachi, un groupe ultranationaliste croate soutenu par les fascistes italiens. Sa carrière prend un tournant majeur en 1934 lorsqu’il est arrêté sous suspicion d’implication dans l’assassinat du roi Alexandre Ier de Yougoslavie. Après un an de détention et son acquittement, Artuković continue d’avancer dans le mouvement oustachi, devenu son principal objectif politique : la création d’un État croate ethniquement pur.

Ministre du Gouvernement Oustachi et Crimes de Guerre

En avril 1941, après l’invasion de la Yougoslavie par les forces de l’Axe, l’État indépendant de Croatie est fondé sous la direction des oustachis, et Artuković devient ministre de l’Intérieur. Il est l’instigateur de lois raciales imitant celles des nazis, appliquées de manière féroce. Les populations serbe et juive sont persécutées, déportées, et exterminées dans les camps de concentration que les oustachis mettent en place à travers la Croatie. Artuković va même jusqu’à déclarer publiquement que l’élimination des Serbes et des Juifs devait être réalisée sans pitié, une position qu’il défend avec zèle, ordonnant des massacres et des déportations massives.

Une Extradition Bloquée pendant Décennies

Après la fin du conflit en 1945, Artuković réussit à fuir la Yougoslavie et à se rendre aux États-Unis en 1947 ou 1948 sous une fausse identité. Il entra dans le pays en tant que « visiteur », échappant ainsi aux autorités yougoslaves qui réclamaient sa remise en justice. Dès les années 1950, la Yougoslavie demanda son extradition, mais cette dernière fut systématiquement bloquée par les autorités américaines.

La Protection Américaines des Criminels de Guerre

L’une des raisons de cette protection pourrait résider dans l’intérêt géopolitique des États-Unis, notamment à l’époque de la Guerre froide. John Edgar Hoover, alors directeur du FBI, aurait estimé qu’Artuković détenait « une grande valeur potentielle de propagande », suggérant ainsi que sa protection était vue comme un atout pour les États-Unis dans le cadre de leur lutte contre l’influence soviétique. De plus, comme d’autres criminels nazis, Artuković aurait été secrètement protégé par la CIA, qui aurait facilité son entrée et sa survie en Amérique.

L’Arrêt de l’Extradition et le Jugement en Yougoslavie

Ce n’est qu’en 1981 que l’administration américaine annula l’ajournement d’expulsion d’Artuković, et en 1984, ce dernier fut finalement arrêté. Deux ans plus tard, il fut extradé vers la Yougoslavie, où il fut jugé pour ses crimes de guerre. Lors de son procès en 1986, il fut condamné à la peine capitale. Cependant, Artuković mourut en 1988 à l’hôpital de la prison de Zagreb, avant d’avoir pu être exécuté, mettant ainsi un terme à une longue saga judiciaire.

La Mémoire des Criminels de Guerre et les Enjeux Géopolitiques

L’affaire Artuković met en lumière non seulement les protections et stratégies géopolitiques qui ont permis à de nombreux criminels de guerre nazis de vivre en toute impunité, mais aussi la lenteur et l’indifférence des États-Unis face à l’extradition de certains responsables de crimes contre l’humanité. La guerre froide et les enjeux de propagande ont parfois pris le pas sur la justice.

Aujourd’hui, l’histoire d’Andrija Artuković rappelle l’importance de l’impunité qui a marqué la période de la Guerre froide, où la lutte idéologique a conduit à la protection de figures criminelles et à la révision de l’histoire à des fins géopolitiques.

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