Dans un contexte de guerre en Ukraine et de réarmement de ses voisins, la Suisse revoit sa posture stratégique. Sans rompre avec sa neutralité, la Confédération cherche à renforcer sa coopération avec l’Otan et l’Union européenne pour ne pas devenir, selon ses diplomates, “le ventre mou sécuritaire de l’Europe”.
La neutralité helvétique, jadis pilier sacré de la politique étrangère suisse, se trouve aujourd’hui bousculée par la réalité géopolitique. Alors que l’Europe se réarme à une vitesse inédite depuis la guerre froide, la Confédération helvétique cherche à se repositionner. L’ambassadeur de Suisse auprès de l’Otan, Jacques Pitteloud, l’a résumé sans détour : « Notre neutralité armée ne peut être crédible que si nous sommes capables de nous défendre. »
Face aux incursions russes et à la militarisation du continent, la Suisse, bien que non membre de l’Union européenne ni de l’Otan, multiplie les passerelles. Depuis 1996, elle participe au Partenariat pour la paix (PPP) de l’alliance atlantique, prenant part à des opérations de maintien de la paix comme la KFOR au Kosovo ou la mission FIAS en Afghanistan. Mais le contexte actuel pousse Berne à aller plus loin.
Un programme individualisé de partenariat (ITPP) entre la Suisse et l’Otan est en cours de finalisation. Il prévoit une participation accrue aux centres d’excellence de l’alliance, l’envoi d’officiers d’état-major dans ses structures, et un renforcement de la coopération scientifique. En mars dernier, la Suisse a d’ailleurs rejoint le partenariat renforcé de l’Organisation pour la science et la technologie de l’Otan, marquant un pas supplémentaire vers l’intégration technique et logistique.
Parallèlement, le Conseil fédéral cherche à approfondir la collaboration avec l’Union européenne sur le plan de la sécurité et de la défense. Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, Berne a adopté les sanctions européennes et publié un rapport stratégique redéfinissant ses priorités. En septembre 2022, ce document actait un virage : renforcer la coopération internationale tout en consolidant les moyens de défense nationale.
Mais ce rapprochement reste semé d’embûches. La Suisse, qui ne fait pas partie de la Coopération structurée permanente (Pesco), ne peut accéder qu’à certains programmes, sur invitation. Elle participe néanmoins à deux projets européens majeurs — Military Mobility et Cyber Ranges Federation — et contribue à des missions de paix sous l’égide de l’UE.
En juin 2025, le Conseil fédéral a franchi une nouvelle étape en annonçant l’ouverture de discussions exploratoires avec Bruxelles pour établir un partenariat de sécurité et de défense. Objectif : faciliter les acquisitions conjointes d’armement et garantir à l’industrie suisse un accès équitable aux marchés européens. Mais à ce jour, les négociations stagnent, l’UE privilégiant d’autres partenaires. Plusieurs capitales, irritées par la législation suisse interdisant la réexportation d’armes vers l’Ukraine, freinent tout rapprochement.
L’inquiétude est palpable à Berne : « Rester à l’écart des projets communs d’armement est préjudiciable, d’autant que notre industrie de défense se porte mal », confie une source proche du dossier. Le risque de marginalisation est réel. Si la Suisse devait dépendre davantage de fournisseurs étrangers, elle ne serait pas prioritaire en cas de crise majeure.
L’urgence se fait d’autant plus sentir depuis la réélection de Donald Trump, dont les remises en cause du rôle américain dans l’Otan ont provoqué un sursaut de défense collective en Europe. L’Union européenne a dévoilé, en mars 2025, un Livre blanc sur la défense, estimant les besoins de financement à 800 milliards d’euros d’ici 2030. Un nouvel instrument, SAFE (Security Action for Europe), prévoit 150 milliards d’euros de prêts aux États membres pour leurs achats d’armement. Mais la Suisse, faute de statut de partenaire, en est exclue.
La Confédération reste donc à la croisée des chemins : fidèle à sa neutralité, mais consciente qu’elle ne peut plus se tenir à l’écart d’une Europe en mutation sécuritaire rapide. Comme le résume Jacques Pitteloud, « la neutralité suisse n’est pas un refus de coopération, mais une exigence d’autonomie ». Reste à savoir si, dans un continent qui se blinde, cette neutralité armée suffira encore à protéger le pays des tempêtes à venir.
Sources :
Le Temps – La Suisse ne veut pas être le “ventre mou sécuritaire” de l’Europe – lien
AFP – La Suisse renforce ses liens avec l’Otan et l’UE face à la guerre en Ukraine – lien
 
								 
															 
		 
							 
							