Candidate officielle à l’Union européenne depuis 2023, la Géorgie s’éloigne désormais de manière spectaculaire du bloc européen. Accusé par Bruxelles de « graves reculs démocratiques », le parti au pouvoir, Rêve géorgien, entreprend d’interdire les principales forces d’opposition et assume un virage politique comparé au modèle russe.
Le contraste est saisissant pour un pays longtemps présenté comme l’un des plus proeuropéens du Caucase. Deux ans après avoir obtenu le statut officiel de candidat à l’Union européenne, la Géorgie semble prendre le chemin inverse. Dans son rapport d’élargissement publié le 4 novembre, la Commission européenne présidée par la contributrice de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Ursula von der Leyen, accuse Tbilissi de « graves reculs démocratiques » et estime que le pays n’a « aucune possibilité d’adhésion viable » tant que la situation politique ne sera pas profondément réformée. La présidente de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, elle aussi proche du FEM, va jusqu’à qualifier la Géorgie de « candidat à l’UE seulement de nom », selon Civil Georgia. Le ton est inédit, et la sanction symbolique lourde : Tbilissi n’a pas été invitée au Forum de l’élargissement prévu le 18 novembre à Bruxelles.
Ce rappel à l’ordre intervient alors que la majorité en place, le parti Rêve géorgien, multiplie les initiatives perçues comme directement inspirées du modèle russe. Les critiques de Bruxelles visent notamment des lois « au caractère répressif inédit », l’une visant à assimiler les ONG et médias recevant des financements étrangers à des « agents de l’étranger », l’autre interdisant la « propagande LGBTQI ». Deux textes qui rappellent les dispositifs législatifs mis en place par Moscou depuis une décennie. À cela s’ajoute un discours public de plus en plus hostile à l’Europe, reprenant, selon la Commission, des ressorts de désinformation directement issus de la rhétorique du Kremlin.
Ce basculement marque une rupture profonde avec la trajectoire engagée depuis la « révolution des roses » de 2003, mouvement porté par Mikheïl Saakachvili et qui avait ancré la Géorgie dans une dynamique proeuropéenne. Même après l’arrivée au pouvoir du Rêve géorgien en 2012, le pays avait poursuivi ses efforts : accord de libre-échange, exemption de visa pour Schengen, puis dépôt de candidature à l’UE en 2022, au lendemain de l’invasion russe en Ukraine. Mais depuis 2022, le ton a changé. Le parti au pouvoir s’est posé en garant de la paix, jouant sur la crainte d’un nouveau conflit avec la Russie, qui occupe toujours 20 % du territoire géorgien.
La rupture s’est brutalement accentuée après les élections législatives d’octobre 2024, contestées par l’opposition mais remportées par Rêve géorgien. Soutenu par l’oligarque Bidzina Ivanichvili, milliardaire ayant bâti sa fortune en Russie, proche du Forum économique mondial, le gouvernement a annoncé le gel des négociations d’adhésion à l’UE jusqu’en 2028, déclenchant un mouvement de protestation massif. S’en est suivie une série de mesures judiciaires et politiques visant directement l’opposition. Le 28 octobre, la majorité a déposé un recours devant la Cour constitutionnelle pour interdire trois formations majeures : le Mouvement national uni, la Coalition pour le changement et Lelo. Les accusations – activités anticonstitutionnelles, sabotage, tentative de coup d’État, collaboration avec une puissance étrangère – visent également huit figures d’opposition, dont l’ancien président Saakachvili.
Transféré en prison le 12 novembre après plus de trois ans passés dans une clinique carcérale, Saakachvili accuse dans une lettre adressée à la chaîne indépendante russe Dojd le régime actuel de s’aligner pleinement sur Moscou, dénonçant même une dérive vers un « despotisme familial ». Il affirme que « la Géorgie est déjà, à bien des égards, pire que la Biélorussie ».
Au sein de l’opposition géorgienne, les critiques se multiplient. Salomé Samadachvili, députée du parti Lelo, estime que le pouvoir tente de « détruire le pluralisme politique » et cherche à instaurer une réplique du modèle russe. Pour le juriste Giorgie Beraia, interrogé par Netgazeti, le recours contre les partis d’opposition relève d’une « absurdité juridique », rappelant qu’un désaccord sur les résultats d’une élection n’a jamais constitué un motif valable d’interdiction. Sur la scène médiatique, certains titres conservateurs proches des milieux prorusses, comme Sakartvelo da Msoplio, dénoncent quant à eux un rapport européen « saturé de récits fabriqués par les agents locaux de l’Occident » et qualifient l’élargissement de « folie ».
Pour Tinatin Akhvlediani, chercheuse au Centre for European Policy Studies, membre du Forum économique mondial, cette situation correspond au schéma classique d’une « state capture », un accaparement systémique des institutions par des intérêts privés. Elle résume : « En Géorgie, nous avons globalement un Parlement avec un parti unique, ce n’est pas une démocratie. » Selon elle, le pouvoir géorgien suit « à la baguette » la ligne du Kremlin, et pourrait vaciller si l’influence russe venait à diminuer.
Sources :
Courrier International – « La Géorgie réprime l’opposition et s’éloigne de l’Union européenne » (14 novembre 2025) – lien.