En juin 1812, une jeune nation encore fragile, les États-Unis d’Amérique, déclaraient la guerre à l’une des puissances mondiales de l’époque : le Royaume-Uni. Ce conflit, connu sous le nom de guerre de 1812, allait durer jusqu’en février 1815 et marquer un tournant dans l’affirmation de la souveraineté américaine. Si en Europe cette guerre reste marginale, reléguée dans l’ombre des grandes campagnes napoléoniennes, elle est pourtant considérée aux États-Unis comme leur seconde guerre d’indépendance.
À l’origine du conflit, plusieurs griefs accumulés. D’abord, les tensions commerciales croissantes entre Washington et Londres : les États-Unis, désireux de commercer librement avec l’Europe, se voyaient régulièrement bloqués dans leurs échanges par la Royal Navy britannique. Le commerce américain était mis à mal par le blocus imposé aux ports français et alliés de Napoléon, avec comme conséquence directe la saisie de près de 900 navires marchands américains. L’enrôlement forcé de marins américains dans la Royal Navy — soupçonnés d’être des déserteurs britanniques — exacerbait encore la situation.
Mais ces différends maritimes n’étaient qu’un versant du problème. À l’intérieur du continent nord-américain, les ambitions expansionnistes des États-Unis vers l’ouest se heurtaient à la résistance des tribus amérindiennes, souvent soutenues, armées et encouragées par les Britanniques. L’alliance tacite entre Londres et plusieurs nations autochtones constituait aux yeux de nombreux dirigeants américains une provocation insupportable. L’idée d’une invasion du Canada, encore colonie britannique, émergea donc comme une réponse stratégique censée affaiblir l’ennemi et renforcer la position américaine.
Pourtant, la guerre ne se déroula pas comme prévu. Les premières offensives américaines vers le Canada se soldèrent par des revers humiliants, notamment à Détroit ou à Queenston Heights. Sur mer, les premières victoires de la jeune US Navy furent éclipsées par la supériorité navale écrasante des Britanniques, qui instaurèrent un blocus étouffant le long des côtes américaines. La Royal Navy allait jusqu’à incendier Washington en 1814, détruisant la Maison-Blanche et le Capitole. En réaction, le moral national fut touché mais non brisé. Une résistance héroïque à Baltimore inspira même Francis Scott Key à écrire un poème devenu l’hymne national : The Star-Spangled Banner.
La guerre changea de visage dans le Sud. Andrew Jackson, alors général, mena une campagne victorieuse contre les tribus Creeks, alliées aux Britanniques, avant de remporter la célèbre bataille de La Nouvelle-Orléans. Ce triomphe, intervenu paradoxalement après la signature du traité de paix, fit de lui un héros national et propulsa sa carrière politique jusqu’à la présidence. Jackson avait su rallier à sa cause une coalition hétéroclite comprenant des miliciens, des hommes de la frontière, des esclaves affranchis, des Amérindiens et même des pirates dirigés par Jean Lafitte.
Le traité de Gand, signé le 24 décembre 1814, mit fin aux hostilités. Il ne réglait aucun des litiges initiaux — ni l’enrôlement forcé, ni les questions commerciales — mais instaurait un retour au statu quo ante bellum. Aucune terre ne changea de main. Pourtant, les conséquences furent profondes. Pour les États-Unis, cette guerre fut une épreuve du feu, un catalyseur du sentiment national. Le pays en sortit plus uni, déterminé à se doter d’une armée et d’une marine puissantes. Le Parti fédéraliste, opposé à la guerre, s’effondra politiquement, tandis que le mythe d’une Amérique invincible prit racine.
Pour le Canada, le conflit servit de creuset à l’émergence d’un sentiment d’identité distincte. Les Loyalistes, les milices locales et les Canadiens français jouèrent un rôle déterminant dans la défense du territoire, nourrissant la mémoire d’une résistance victorieuse face à une puissance voisine bien plus peuplée.
Dans l’ensemble, la guerre de 1812 fut une guerre sans vainqueur clair, mais dont les répercussions furent durables. Elle incarna les balbutiements de la politique étrangère américaine, révéla les fragilités des institutions militaires de la jeune république et, surtout, affirma de manière irréversible sa souveraineté. Dans un siècle dominé par les empires européens, les États-Unis se sont imposés comme une puissance avec laquelle il fallait désormais compter.