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Super-bébés de la Silicon Valley : start-up de la fertilité, dépistage embryonnaire et frontières d’un eugénisme 2.0

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Aux États-Unis, des jeunes pousses comme Orchid Health promettent de « sécuriser » la naissance en séquençant le génome d’embryons et en calculant des scores de risque polygénique. Le pari séduit une clientèle fortunée de la tech mais heurte scientifiques et éthiciens, qui alertent sur l’efficacité incertaine, les biais et la pente eugéniste de ces services.

Dans les salons feutrés d’Austin comme dans les dîners de San Francisco, l’avenir de la reproduction se vend désormais en feuilles de calcul. À la tribune, Noor Siddiqui, trentenaire passée par la bourse de Peter Thiel, expose la promesse d’Orchid Health : extraire quelques cellules d’un embryon conçu par FIV, en séquencer quasi intégralement l’ADN et livrer aux futurs parents un tableau de « risques » couvrant des milliers de maladies monogéniques et, plus ambitieux encore, des pathologies communes modélisées par des scores polygéniques. L’argument frappe par sa clarté marketing : moins de loterie, plus de data, donc plus de « sérénité » parentale. Les convives, investisseurs et cadres de la tech, acquiescent ; l’idée d’un « meilleur embryon possible » a l’allure d’un progrès, presque d’une évidence. Le Washington Post a raconté cette scène devenue symbole d’un moment culturel où la fertilité se marie aux algorithmes, et où des figures de la Silicon Valley revendiquent un natalisme de combat, dopé par des capitaux privés et un agenda politique favorable à l’extension de la FIV.

Cette mutation s’appuie sur une décennie de percées statistiques. En 2018, des équipes menées par Amit V. Khera ont montré que des scores polygéniques pouvaient repérer des poches de population dont le risque de maladies fréquentes – coronaropathie, diabète de type 2, cancer du sein – est multiplié par trois, parfois davantage. De quoi nourrir l’ambition d’un dépistage préimplantatoire « augmenté » qui choisirait l’embryon au profil génétique le plus favorable. Mais l’extrapolation de ces résultats, construits surtout sur des cohortes d’ascendance européenne, vers la sélection d’embryons reste scientifiquement fragile et socialement chargée. 

Car la biologie ne se laisse pas réduire à une simple addition de variants. L’American College of Medical Genetics and Genomics l’a rappelé noir sur blanc : l’utilité clinique des scores polygéniques pour la sélection d’embryons n’est « pas démontrée » et ne devrait pas être proposée en routine. D’autres généticiens pointent les limites techniques – l’amplification d’ADN sur cinq cellules embryonnaires peut introduire des erreurs – et les dérives commerciales d’un marché quasi dépourvu de garde-fous. Orchid s’en défend, mais la controverse enfle à mesure que l’entreprise revendique le séquençage de « plus de 99 % » du génome embryonnaire et étend sa présence dans les cliniques américaines. Les critiques redoutent une illusion de contrôle qui pousse des couples à écarter des embryons viables, voire à multiplier des cycles de FIV coûteux et éprouvants sur la foi de prédictions probabilistes.

Au-delà des bancs d’essai, la bataille est aussi philosophique. Les promoteurs revendiquent un humanisme de la prévention : pourquoi ne pas réduire les risques de maladies graves si la technologie le permet, et si le coût du séquençage chute de façon vertigineuse ? Des figures tutélaires comme George Church décrivent même ce dépistage génomique embryonnaire comme l’une des innovations médicales au meilleur « retour sur investissement ». Les opposants y voient au contraire une pente glissante vers un eugénisme de marché, où les plus aisés optimisent la santé – voire demain des traits non médicaux – de leur progéniture, creusant l’inégalité dès l’embryon. Entre ces pôles, la médecine préventive progresse chez l’adulte, où les scores polygéniques, encadrés, aident déjà à personnaliser le dépistage ; mais transposer cet outil au moment du choix embryonnaire change la nature du geste, et donc l’éthique. 

Reste une scène très californienne où la mythologie du contrôle de soi – body hacking, biobanques personnelles, suivi en continu – se prolonge dans la parentalité. Le diagnostic devient une grammaire intime : on compare un risque relatif d’obésité à un risque de diabète, on hiérarchise des pourcentages, on arbitre à partir d’un fichier chiffré le destin d’embryons obtenus au prix d’un parcours médical lourd. Les pionniers assument la part d’incertitude pour « gagner » de la tranquillité d’esprit ; les sociétés savantes demandent patience et preuves ; la sphère politique, elle, voit dans cet élan une réponse à l’anxiété démographique et un marché d’avenir. Entre promesse et vertige, la fabrique des « super-bébés » dit beaucoup de notre époque : une confiance sans fard dans les modèles, une tendresse pour la solution technologique, et la nécessité, plus que jamais, d’un débat public à la hauteur des enjeux.

Sources :
The Washington Post – Inside the Silicon Valley push to breed “super-babies” – https://www.washingtonpost.com/technology/2025/07/16/orchid-polygenic-screening-embryos-fertility/
The Washington Post – Tech Brief: Behind the hype over “super-babies” – https://www.washingtonpost.com/politics/2025/07/17/tech-brief-superbabies/
Nature Genetics – Khera A.V. et al., « Genome-wide polygenic scores for common diseases » (2018) – https://www.nature.com/articles/s41588-018-0183-z
ACMG – Grebe T.A. et al., « Clinical utility of polygenic risk scores for embryo selection: A points to consider statement » (2024) – https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/38393332/
Science (AAAS) – « Genetics group slams company for using its data to screen embryos » (15 décembre 2023) – https://www.science.org/content/article/genetics-group-slams-company-using-its-data-screen-embryos-genomes
WIRED – « Whole-Genome Sequencing Will Change Pregnancy » (15 septembre 2025) – https://www.wired.com/story/whole-genome-sequencing-will-change-pregnancy/

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