Devant l’Assemblée, Sébastien Lecornu a proposé de suspendre la réforme des retraites jusqu’à la présidentielle et annoncé ne plus recourir au 49-3 sur les textes budgétaires. Dans un discours-fleuve, il a plaidé pour un « partage du pouvoir » avec le Parlement, un cap de rigueur « sans dérapage des comptes » et une conférence sociale sur les retraites.
Le virage est assumé. À la tribune du Palais-Bourbon, Sébastien Lecornu a déroulé une méthode et un calendrier inédits pour un exécutif issu de la majorité présidentielle. « Je vous propose d’avancer. L’Assemblée, dans sa diversité, ressemble aux Français. Il faut en tirer toutes les conséquences », a-t-il posé d’emblée, revendiquant une « rupture » avec les réflexes du précédent quinquennat.
Sur le fonctionnement des institutions, le Premier ministre confirme renoncé « à utiliser l’article 49, alinéa 3». « Le gouvernement proposera, nous débattrons, vous voterez. »
Objectif affiché : restaurer la confiance démocratique, laisser vivre les votes, et « partager le pouvoir » avec les députés, les partenaires sociaux et les collectivités. Cette promesse vaut d’abord pour le budget : « La loi se fera ici, pas à Bercy. Je porterai moi-même la discussion générale du budget de l’État et de la Sécurité sociale. »
Côté cap budgétaire, Lecornu martèle le refus de la fuite en avant : « Je ne serai pas le Premier ministre d’un dérapage des comptes publics. » Le déficit devra « être à moins de 5 % du PIB » en sortie de débat, avec une trajectoire « au plus près de 4,7 % » dans la copie initiale. Pour tenir la ligne, il promet une revue des dépenses, un projet de loi antifraudes (sociales et fiscales) déposé « en même temps que le budget », et un mix fiscal « baisses d’impôts pour les PME » et « hausses ciblées et exceptionnelles pour certaines très grandes entreprises ». Il évoque encore l’encadrement de l’optimisation via holdings et une contribution exceptionnelle des grandes fortunes fléchée vers « infrastructures, transition écologique, défense », tout en préservant le capital professionnel. « Derrière la fiscalité, il y a le consentement à l’impôt », insiste-t-il.
Le chapitre retraites concentre le geste politique le plus spectaculaire. « Je proposerai au Parlement de suspendre la réforme de 2023 jusqu’à l’élection présidentielle. Aucun relèvement de l’âge n’interviendra d’ici janvier 2028, la durée d’assurance restera à 170 trimestres jusqu’à cette date », annonce-t-il, chiffrant le coût à 400 millions d’euros en 2026 et 1,8 milliard en 2027. Pas question toutefois de « suspendre pour suspendre » : une conférence sur les retraites et le travail sera organisée « dans les prochaines semaines », avec mandat de remettre des premières conclusions « au printemps » et, en cas d’accord, une transposition dans la loi avant 2027. Au menu : pénibilité, carrières longues, retraites des femmes, attractivité des métiers, gouvernance et rôle des partenaires sociaux. « Suspendre, ce n’est pas renoncer si nous savons utiliser ce temps avec intelligence », plaide Lecornu.
Cette annonce a suscité de nombreux applaudissement dans les rangs socialistes alors que la suspension de la réforme des retraites était la principale demande des députés PS. Les socialistes ont d’ailleurs décidé de se réunir avant la prise de parole de Boris Vallaud.
Le discours s’inscrit dans une lecture plus large d’« un monde qui bascule » : crise climatique, chocs géopolitiques, « révolution digitale et sociétale » et « fractures locales autant que mondiales ». D’où une méthode revendiquée : compromis, technicité, « souci du détail » et « parlement au centre ». Il déroule enfin un agenda d’État-réforme : poursuite de la réindustrialisation et d’une politique énergétique « au service de l’emploi », décentralisation par responsabilités (« un seul responsable par politique publique »), dossiers Nouvelle-Calédonie et Corse, sécurité, immigration, santé, éducation, planification écologique — avec la promesse de revenir devant les députés « expliquer, débattre, et laisser voter ».
Dans une Assemblée fragmentée, la majorité relative mise sur cet équilibre : apaiser, réparer la « blessure démocratique » des retraites et tenir la ligne budgétaire. C’est donc un numéro d’équilibre qui s’annonce pour Lecornu qui a toujours la censure comme épée de Damoclès au dessus de sa tête.
Sources :
20 Minutes – 13 octobre 2025 – article sur la suspension et le contexte politique
AFP / Franceinfo – 14 octobre 2025 – déclaration de politique générale, réactions et chiffrages
Assemblée nationale – 14 octobre 2025 – [Déclaration de politique générale (séance) – extraits cités]