Londres a renoncé à poursuivre deux chercheurs accusés d’espionnage pour le compte de la Chine, faute d’avoir juridiquement désigné Pékin comme une “menace pour la sécurité nationale”. Une décision qui provoque un tollé dans la presse britannique et relance le débat sur la politique chinoise du gouvernement travailliste.
Le scandale enfle à Westminster. Deux ans après l’arrestation de deux chercheurs soupçonnés d’espionnage pour la Chine, les poursuites à leur encontre ont été abandonnées, à la surprise générale, quelques jours avant l’ouverture du procès prévue le 15 septembre dernier. Selon The Daily Telegraph, cette décision découle d’un choix politique “venu d’en haut” : le gouvernement de Keir Starmer a refusé de qualifier la Chine de “menace pour la sécurité nationale”, condition pourtant indispensable pour engager des poursuites au titre de l’Official Secrets Act de 1911.
Le texte, rappelle The Guardian, ne permet de condamner un suspect que si ses actes ont “directement ou indirectement profité à l’ennemi”. Or, pour les juristes du gouvernement, Pékin n’a jamais été officiellement considéré comme tel. “Les avocats ont estimé qu’il n’était pas possible de désigner la Chine comme une menace sans changer la position officielle du Royaume-Uni”, résume le quotidien de gauche. Sous les gouvernements conservateurs précédents, Boris Johnson et Rishi Sunak avaient seulement décrit la Chine comme un “concurrent systémique” ou un “défi stratégique”.
Une justification que la presse conservatrice juge intenable. “On dirait que le gouvernement n’a pas voulu se mettre Pékin à dos”, dénonce The Daily Telegraph, voyant dans ce renoncement un signe d’apaisement politique à l’égard d’un partenaire commercial majeur. D’après The Sunday Times, la décision d’abandonner le procès aurait été prise lors d’une réunion préparatoire à une série de discussions commerciales sino-britanniques, les premières depuis sept ans. Le ministre du Commerce, Peter Kyle, s’est rendu à Pékin les 10 et 11 septembre, soit à peine quelques jours avant l’audience annulée.
Pour le journal dominical, les services de renseignement disposaient pourtant d’“éléments suffisants” pour prouver les liens entre les accusés et Cai Qi, numéro cinq du régime chinois. L’un des chercheurs, employé à Westminster, aurait transmis des documents confidentiels à un contact basé à Pékin. “La décision d’ignorer ces données a sapé la crédibilité du parquet et humilié le système judiciaire britannique”, écrit The Sunday Times, qui y voit le symptôme d’un gouvernement “tiraillé entre pragmatisme économique et principes de sécurité”.
Depuis l’arrivée des travaillistes au pouvoir en 2024, Londres a engagé un virage prudent vers la normalisation de ses relations avec Pékin, après plusieurs années de tensions autour de Hong Kong et de Huawei. Ce repositionnement se traduit notamment par la relance d’investissements bilatéraux et par un projet controversé : l’ouverture d’une “méga-ambassade” chinoise au cœur de Londres, dont le sort sera bientôt débattu au Parlement.
“La coïncidence est troublante”, souligne The Sunday Times. “L’explication la plus bienveillante est que le gouvernement craignait de fragiliser le procès en pleine phase de rapprochement économique. Les plus cyniques y verront la preuve que la croissance prime désormais sur la sécurité nationale.”
Face à la tempête médiatique, Downing Street a tenté d’éteindre l’incendie. Le cabinet du Premier ministre a assuré que “la décision relevait uniquement d’une évaluation juridique” et non d’une directive politique. Mais l’opposition conservatrice exige une enquête parlementaire et accuse Keir Starmer de “faiblesse stratégique” face à Pékin.
La polémique, déjà baptisée “China Leak” par la presse tabloïd, pourrait bien durablement ternir la promesse du chef du gouvernement d’un “pragmatisme solide” dans la diplomatie britannique.
Sources :
Courrier international – « L’abandon d’un procès pour espionnage au profit de la Chine secoue la presse britannique »– courrierinternational.com – 9 octobre 2025
The Daily Telegraph – « Starmer accused of bowing to Beijing in spy case » – 7 octobre 2025
The Guardian – « Why UK dropped China spy prosecution » – 8 octobre 2025
The Sunday Times – « Government shelved evidence ahead of China trade talks » – 6 octobre 2025