Malgré le refus officiel de Bruno Retailleau d’un accord de gouvernement avec le Rassemblement national, plusieurs responsables locaux de LR se disent désormais ouverts à des rapprochements avec l’extrême droite. Une dérive idéologique qui révèle la profonde division du parti, à l’heure où Jordan Bardella multiplie les appels du pied.
La digue entre Les Républicains (LR) et le Rassemblement national (RN) n’a jamais semblé aussi fragile. Mardi 7 octobre, invité du 20 heures de France 2, Bruno Retailleau, président du parti LR, a affirmé sans détour : “C’est non”, en réponse à la proposition d’accord de gouvernement formulée le matin même par Jordan Bardella sur CNews.
Le président du RN s’était déclaré “parfaitement disposé” à s’allier avec LR en cas de dissolution de l’Assemblée nationale si son parti ne parvenait pas à décrocher la majorité absolue.
Mais derrière ce refus net, la droite traditionnelle est traversée par de profondes ambiguïtés. Quelques heures avant son intervention télévisée, Bruno Retailleau avait déjà semé le trouble en abandonnant la ligne du “ni-ni”, doctrine historique de LR, en appelant à faire barrage à la gauche dans une législative partielle du Tarn-et-Garonne… au profit d’un candidat soutenu par le RN.
Une droite en quête de repères
Depuis la démission de Sébastien Lecornu, le climat politique tendu alimente la tentation d’un “bloc des droites”. Au sein du parti, plusieurs élus nationaux se disent désormais favorables à un dialogue avec le RN.
L’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, estime qu’il ne serait “pas anormal que LR gouverne avec le RN, sous certaines conditions”.
La sénatrice Sophie Primas a elle aussi ouvert la porte sur RTL à un “contrat de gouvernement” commun, avant de nuancer ses propos sur les réseaux sociaux face au tollé provoqué.
Mais les positions les plus franches viennent des fédérations locales, où la réalité électorale pèse plus lourd que les consignes parisiennes.
En Charente, Jean-Hubert Lelièvre, président LR du département, déclare sans détour :
“Si le RN a 250 députés, il faut faire un contrat de gouvernement avec eux, tout simplement.”
Même discours dans les Ardennes, où la sénatrice Else Joseph affirme ne pas avoir “de cas de conscience” à collaborer avec le RN “à partir du moment où on se bat pour les mêmes choses”.
Le RN, catalyseur de recomposition à droite
Le RN n’a pas tardé à profiter de ces fissures. “Nous recevons beaucoup de candidatures de la part de LR ou d’ex-LR”, a confirmé la députée Edwige Diaz, membre de la commission d’investiture du parti d’extrême droite.
Depuis le ralliement d’Éric Ciotti à l’été 2024, Jordan Bardella et Marine Le Pen poursuivent méthodiquement leur stratégie d’union des droites, cherchant à rallier une partie des cadres et des électeurs LR séduits par le discours sécuritaire et identitaire du RN.
Du côté de l’Union des droites pour la République (UDR), fondée par Ciotti, les passerelles sont déjà en place. “Les députés LR nous parlent désormais avec bienveillance”, confie Charles Alloncle, élu ciottiste, qui assure qu’en cas de majorité relative du RN, “la grande majorité des parlementaires LR négocieraient un contrat de gouvernement avec nous”.
Retailleau sous pression
Face à ces dérapages, Bruno Retailleau tente de maintenir une ligne d’équilibre. Officiellement opposé à toute alliance avec le RN, il se retrouve désormais pris en étau entre les tenants d’un rapprochement stratégique et les défenseurs d’une droite indépendante.
Le président du Sénat, Gérard Larcher, a d’ailleurs promis de s’opposer “fermement” à toute forme d’accord avec le parti de Marine Le Pen.
Mais la confusion règne dans les rangs : “C’est un bordel innommable”, résume un proche de Valérie Pécresse.
Dans les fédérations, les élus locaux assument de plus en plus ouvertement leur convergence avec les thématiques du RN — immigration, sécurité, autorité — quitte à minimiser les différences idéologiques. “Ils feront juste des trucs de bon sens, rassurez-vous, il n’y aura pas de ‘Grand Soir’”, tente de relativiser Jean-Hubert Lelièvre.
Une fracture politique et morale
Pour une partie de la droite républicaine, cette dérive rappelle les alliances locales entre RPR et FN à Dreux en 1983, déjà justifiées à l’époque par Jacques Chirac au nom du “moindre mal face aux communistes”. Mais aujourd’hui, c’est La France insoumise, qui sert d’argument à ceux qui plaident pour un rapprochement avec le RN. “Le vrai danger, c’est LFI”, estime la conseillère départementale de Saône-et-Loire Nathalie Damy, qui reconnaît avoir voté Marine Le Pen au second tour en 2022.
Entre les appels à “l’union des droites” et la fidélité à l’héritage gaulliste, LR se retrouve au bord d’une rupture historique. Alors que Jordan Bardella multiplie les signaux d’ouverture, la droite républicaine doit trancher : maintenir une ligne d’indépendance ou se résoudre à un rapprochement assumé avec le RN. Une décision qui pourrait, à terme, redéfinir l’équilibre politique français, à la veille d’un éventuel retour aux urnes.
En attendant, s’est Laurent Wauquiez qui pourrait faire la balance puisqu’il serait actuellement en train de proposer une nouvelle voie puisqu’il serait prêt à accepter de prendre le ministère de l’Intérieur au sein du gouvernement.
Sources :
Mediapart – “Chez Les Républicains, l’idée d’une alliance avec le RN fait son chemin” – 8 octobre 2025
France 2, CNews, BFMTV, RTL – Déclarations de Bruno Retailleau, Sophie Primas, Henri Guaino et Gérard Larcher