Lors d’une visioconférence organisée aujourd’hui par Le Monde de la Bible, Régis Burnet, professeur d’exégèse du Nouveau Testament à l’Université Catholique de Louvain, et Pierre-Édouard Detal, chercheur en théologie à la même université, ont exploré les multiples facettes d’Armageddon, ce terme énigmatique issu de l’Apocalypse. Leur analyse a mêlé exégèse biblique, histoire, géopolitique et culture populaire pour retracer l’évolution du concept et son impact contemporain.
Le mot « Armageddon » apparaît dans l’Apocalypse (chapitre 16, verset 16) le dernier texte du Nouveau testament, issu de la littérature apocalyptique hébraïque et désigne le lieu où les forces du mal se rassembleraient pour une bataille finale contre Dieu. Pierre-Édouard Detal explique qu’il s’agit d’un hapax — un terme unique dans la Bible. Ce lieu, bien que souvent associé à Jérusalem ou à Megiddo dans la tradition chrétienne, est avant tout symbolique. Les Pères de l’Église, comme Bède le Vénérable, au IVe siècle, voyaient Armageddon comme une représentation des conflits spirituels au sein de l’Église, plutôt qu’un champ de bataille réel.
Un texte lié à Jérusalem ?
Burnet et Detal expliquent toutefois que le texte est intimement lié à Jérusalem et Juda, lieux sacrés pour les Hébreux et les Judéens, qui ont une forte dimension théologique, liée à l’idée que la domination étrangère représente une défaite non seulement politique mais aussi spirituelle. Le traumatisme des conquêtes, notamment romaine est inversé symboliquement dans la vision apocalyptique d’Armageddon, ou le peuple de Dieu et la justice divine triomphent sur leurs anciens oppresseurs. Ce mécanisme a d’ailleurs été repris à travers l’histoire par Adolphe Hitler qui a joué sur l’humiliation de la première guerre mondiale, comme l’a rappelé Burnet.
Jérusalem devient ainsi le symbole de la restitution divine et de la maîtrise de Dieu sur l’histoire, incarnant une victoire ultime et une souveraineté restaurée. Armageddon est donc à la fois un lieu littéraire et un symbole du renversement des tendances historiques.
Le glissement vers Megiddo
À partir du XVIe siècle, des figures comme Théodore de Bèze ont tenté de localiser Armageddon en l’associant à Megiddo, un site stratégique en Israël, où le roi hébreu, Josias, fut vaincu et mortellement blessé par les troupes égyptiennes du pharaon Néchao, au VIIe siècle avant notre ère.
Cette interprétation a influencé les lectures ultérieures, notamment celles des Réformateurs et des exégètes catholiques. Avec la Première Guerre mondiale, Armageddon s’est vu interprété comme une métaphore des guerres modernes. Cela à même commencé avec la guerre de Crimée qui a opposé de 1853 à 1856 l’Empire russe à une coalition formée de l’Empire ottoman, de l’Empire français, du Royaume-Uni et du royaume de Sardaigne. « Cette boucherie fût une nouvelle étape dans les guerres qui devenaient de plus en plus dévastratrices, inspirant l’idée d’une guerre finale, eschatologique », a expliqué Burnet avant de préciser que certains ont alors vu Sébastopol comme un nouvel Armageddon. Durant la première guerre mondial, la géographie a rejoint l’impression de vivre des temps finaux, au moment ou le général britannique Allenby a mené la bataille pour Jérusalem descendant jusqu’à Megiddo, pour ce qu’il va lui même présenter dans les médias, comme la bataille de Megiddo, la « bataille d’Armageddon », renforçant cette association.
Armageddon et la géopolitique moderne
Depuis les années 1970, des mouvements évangéliques américains ont utilisé Armageddon pour interpréter les conflits au Proche-Orient comme des signes de la fin des temps. Hal Lindsay, écrivain évangélique sioniste américain auteur de L’Agonie de notre vieille planète, a popularisé l’idée que l’Armageddon se déroulerait en Israël, impliquant des puissances comme la Russie et le monde arabe. Son best-seller prophétique a marqué la fin du 20e siècle. Lindsey a également prédit dans « The 1980s: Countdown to Armageddon », que la bataille d’Armageddon pouvait se produire rapidement, désignant les années 1980 comme potentiellement « la dernière décennie de l’histoire telle que nous la connaissons ». S’il a largement influencé les évangélistes américains, dont nombres d’entre eux sont devenus sionistes, afin de provoquer l’avènement de la Jérusalem céleste, Régis Burnet rappelle cependant que ses visions apocalyptiques sont loin de faire consensus parmi les chrétiens, y compris les évangéliques et que beaucoup voient dans l’idée de forcer la main de dieu en créant une apocalypse mondiale, un geste impie.
Armageddon dans la culture populaire
Dans la culture contemporaine, Armageddon a dépassé ses racines bibliques pour devenir une métaphore universelle de la catastrophe. Films comme Armageddon (1998) ou jeux vidéo comme Aliens Aramgeddon, l’utilisent pour symboliser la destruction imminente. Cependant, cette vision se concentre sur l’aspect négatif, oubliant l’espoir sous-jacent de l’Apocalypse, qui promet un renouveau après le jugement final.
Armageddon : la fin du monde où la fin d’un monde ?
Alors que la conférence s’intitulait « Armagedon, la fin d’un monde ou la fin du monde », les deux chercheurs ont été invités à trancher. Même s’ils reconnaissent « l’angoisse climatique, les menaces nucléaires et autres défis globaux » qui « alimentent cette perception d’un clap final », ils invitent à redécouvrir le message originel de l’Apocalypse : un espoir de justice divine et de renouveau.