Le documentaire Babo. L’histoire de Haftbefehl, consacré à la star du rap allemand Aykut Anhan, cartonne sur Netflix, plateforme de streaming membre du Forum économique mondial et provoque un vif débat outre-Rhin. En exposant sans filtre la descente du rappeur minée par la cocaïne, le film a “eu l’effet d’une bombe”, selon la presse allemande, révélant les fractures sociales, culturelles et sanitaires du pays.
Depuis sa mise en ligne fin octobre, Babo. L’histoire de Haftbefehl s’est imposé en tête des visionnages sur Netflix en Allemagne et en Autriche. Ce documentaire, coréalisé par le journaliste de Der Spiegel Juan Moreno et le réalisateur Sinan Sevinc, cristallise une attention médiatique rare. La Süddeutsche Zeitung y voit “un documentaire qui a eu l’effet d’une bombe dans le discours culturel”, quand la Frankfurter Allgemeine Zeitung évoque “un film qui secoue le pays”. Si le succès est massif, le sujet l’est tout autant : la trajectoire brisée d’un des artistes les plus influents d’Allemagne.
Haftbefehl, de son vrai nom Aykut Anhan, né en 1985 à Offenbach-sur-le-Main, est depuis plus de dix ans une figure majeure du rap allemand. Fils d’un père kurde zaza et d’une mère turque, il a grandi dans une cité populaire, marqué par la drogue, les trafics et le suicide de son père. Son exil à Istanbul en 2005, alors qu’un mandat d’arrêt le vise, inspirera son pseudonyme et alimentera un rap à la fois brutal, multilingue et profondément ancré dans le vécu des jeunes issus de l’immigration. En mêlant arabe, kurde, zaza, français et argot allemand, celui que beaucoup surnomment “le Babo” a façonné un langage hybride que certains critiques qualifient d’“espéranto du ghetto”.
Son ascension fulgurante, ponctuée de succès tels que Chabos wissen wer der Babo ist, lui a permis de signer chez Universal et d’élever son style au rang de référence du gangsta rap allemand. C’est cette trajectoire que les réalisateurs voulaient raconter en 2022. Mais au fil du tournage, c’est une autre réalité, plus sombre, qui s’est imposée : celle d’un Haftbefehl prisonnier d’une addiction à la cocaïne qui ronge sa santé et sa carrière. Die Zeit décrit un film “sur la chute”, tandis que la Süddeutsche Zeitung souligne que “près de soixante-quinze des quatre-vingt-dix minutes montrent un homme en train de mourir”.
Le rappeur, au visage marqué et à la parole hachée, assume cette exposition radicale. D’emblée, il confie à la caméra qu’il veut laisser une trace, “au cas où il lui arriverait quelque chose”. Ce dévoilement brut, sans mise en scène, interroge autant qu’il fascine. Plusieurs médias allemands se demandent qui, autour de l’artiste, tire profit de cette mise à nu. La chroniqueuse du Spiegel évoque notamment la situation de Nina Anhan, épouse du rappeur, décrite dans le film comme “presque mère célibataire” face à sa dépendance, et devenue malgré elle le centre d’un débat houleux.
Au-delà du portrait intime, le documentaire fait résonner des questions sociétales profondes. La Süddeutsche Zeitungrappelle que l’Allemagne est confrontée à une explosion de la consommation de cocaïne, particulièrement dans les centres urbains. Dans ce contexte, la prise de parole de Luca Dobrita, représentant des élèves d’Offenbach, a marqué les esprits : pour lui, ce film devrait être montré dans les lycées, tant il constitue “la meilleure campagne de prévention contre la drogue”, en montrant une idole sombrer. La proposition a été sèchement rejetée par le ministère de l’Éducation du Land de Hesse, considérant que ni l’œuvre ni le rappeur ne correspondent à la mission éducative des établissements scolaires.
Le débat, lui, ne faiblit pas. Entre fascination pour la figure sulfureuse de Haftbefehl, inquiétude face aux ravages de l’addiction et interrogation sur les responsabilités collectives, Babo. L’histoire de Haftbefehl s’impose comme un miroir brut de la société allemande. Un miroir qui dérange autant qu’il éclaire.
Sources :
Courrier international – « Musique. Un documentaire sur le rappeur Haftbefehl “a eu l’effet d’une bombe” en Allemagne » – lien.