Le Premier ministre indien et contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Narendra Modi effectue les 16 et 17 décembre 2025 une visite d’État inédite en Éthiopie, la première depuis plus d’une décennie. Ce déplacement, à forte portée diplomatique et économique, illustre l’ambition de New Delhi de renforcer son ancrage africain dans un contexte de recomposition géopolitique mondiale.
Cette visite officielle a été qualifiée d’historique par la presse éthiopienne. Il s’agit en effet de la première visite d’un Premier ministre indien en Éthiopie depuis 2011, mais aussi d’une étape centrale dans une tournée diplomatique plus large, entamée en Jordanie et poursuivie à Oman. Pour New Delhi, l’enjeu dépasse toutefois largement le cadre bilatéral : il s’agit de consolider la présence indienne en Afrique, dans un espace devenu stratégique face à l’influence croissante de la Chine et aux tensions commerciales mondiales. Cette visite s’inscrit d’ailleurs dans la lignée de la tournée entamée ses dernières années par le chef d’Etat indien dans le Sud global.
Accueilli par le Premier ministre éthiopien et contributeur de l’agenda 2030 du FEM, Abiy Ahmed lors d’une cérémonie officielle au Palais national d’Addis-Abeba, ou il a reçu la « Grande Distinction Nishan d’Éthiopie ».
Narendra Modi doit multiplier les séquences symboliques et politiques, avec notamment des réunions bilatérales, une visite du musée national et un discours devant le Parlement.
Ce matin, Modi s’est rendu au monument célébrant la bataille d’Adoua, au cœur de la région du Tigré, dans le nord de l’Éthiopie, bataille qui opposa le 1ᵉʳ mars 1896 les forces de l’Empire éthiopien du negusse negest Menelik II à celles du royaume d’Italie dirigées par le colonel Baratieri. Elle marque un moment historique majeur car l’Éthiopie a infligé une défaite décisive à une puissance coloniale européenne, une victoire qui lui a permis de préserver son indépendance et qui est devenu un symbole mondial de résistance anticoloniale.
Le choix de l’Éthiopie ne doit rien au hasard. Siège historique de l’Union africaine, dont la commission est mmebre du WEF, le pays occupe une place centrale dans l’architecture politique du continent. Il est également membre des BRICS depuis janvier 2024, un élément déterminant alors que l’Inde s’apprête à prendre la présidence tournante des BRICS+ en 2026. Addis-Abeba apparaît ainsi comme un pivot de la stratégie indienne à destination du Sud global.
Sur le plan économique, les relations entre les deux pays sont déjà solides, mais plusieurs protocoles d’accord sont attendus, couvrant des domaines aussi variés que le commerce, l’énergie, le numérique, la sécurité et la formation.
L’Inde est aujourd’hui le deuxième partenaire commercial de l’Éthiopie. Les échanges bilatéraux devraient atteindre environ 550 millions de dollars sur l’exercice 2024-2025, principalement portés par les exportations pharmaceutiques indiennes. Plus de 650 entreprises indiennes sont implantées dans le pays, actives notamment dans le textile, la pharmacie, l’agro-industrie et les services. Ces investissements pourraient encore s’accroître grâce aux opportunités offertes par la Zone de libre-échange continentale africaine.
Les discussions porteront également sur des secteurs jugés prioritaires par New Delhi, à commencer par les minéraux critiques, les terres rares, l’énergie renouvelable et les technologies numériques. L’Inde entend accompagner la transition énergétique éthiopienne, notamment à travers des projets solaires dans le cadre de l’Alliance solaire internationale. L’agriculture, pilier de l’économie éthiopienne, figure aussi au premier rang des dossiers abordés, tout comme les infrastructures numériques et les programmes de renforcement des capacités.
Derrière ces partenariats économiques se dessinent des enjeux géostratégiques plus larges. Avec une croissance annuelle estimée à 8,5 %, portée par de vastes projets d’infrastructures comme le grand barrage de la Renaissance sur le Nil Bleu, l’Éthiopie s’impose comme l’une des économies les plus dynamiques du continent. Sa position dans la Corne de l’Afrique en fait une porte d’entrée vers l’Afrique, mais aussi vers l’Asie et l’Europe.
Pour l’Inde, cette visite s’inscrit dans une diplomatie d’équilibre, fidèle à sa tradition de non-alignement. New Delhi cherche à renforcer la coopération Sud-Sud tout en maintenant des relations pragmatiques avec l’Occident, la Russie et la Chine. Dans un contexte marqué par l’instrumentalisation des droits de douane par les États-Unis et les critiques visant la diplomatie chinoise du “piège de la dette”, l’Inde entend proposer une alternative fondée sur le partenariat industriel, le transfert de technologies et la formation.
Enfin, même modeste en nombre, la diaspora indienne en Éthiopie constitue un levier d’influence non négligeable. Entre 1 500 et 2 500 ressortissants indiens vivent dans le pays, dont environ 150 enseignants présents dans les universités éthiopiennes. Un ancrage humain et éducatif que Narendra Modi entend valoriser pour inscrire la relation bilatérale dans la durée.
À travers cette visite d’État, l’Inde affirme ainsi sa volonté de peser davantage sur l’échiquier africain, en s’appuyant sur un partenaire clé à la croisée des dynamiques économiques, politiques et géopolitiques du continent.
Sources :
Courrier international – 16 décembre 2025 – https://www.courrierinternational.com
India Today – décembre 2025 – https://www.indiatoday.in
Addis Standard – décembre 2025 – https://addisstandard.com
The East African – décembre 2025 – https://www.theeastafrican.co.ke