En Haute-Vienne, le projet d’un tronçon routier de 6,5 km entre Couzeix et Nieul provoque une levée de boucliers. Malgré un avis défavorable de l’enquête publique, les travaux ont commencé, entraînant l’abattage de 11 000 arbres sur 15 hectares. Associations, riverains et collectifs écologistes dénoncent une route jugée inutile, dangereusement coûteuse et destructrice.
Au cœur de la forêt entre Couzeix et Nieul, une clairière a surgi en quelques heures. Nicolas Vigier et Frédéric Roch, militants du collectif Alouettes 87, observent les premiers dégâts : hêtres, chênes, châtaigniers et bouleaux gisent au sol. Onze mille arbres, balayés par les machines qui préparent le terrain à une future 2×2 voies. Pour les défenseurs de l’environnement, ce chantier n’a rien d’anodin ; il marque le lancement d’un projet contesté, malgré l’avis défavorable rendu en juin par les commissaires enquêteurs.
Saisi en référé, le tribunal administratif de Limoges a jugé le projet légal, validant l’autorisation donnée par le préfet de région Nouvelle-Aquitaine, Étienne Guyot. Celui-ci met en avant la rigueur administrative et un impératif de sécurité, estimant que le tronçon actuel affiche un taux de mortalité deux fois supérieur à la moyenne nationale. Un argument clé, repris par les collectivités, qui voit pourtant les opposants monter au créneau, dénonçant une justification éloignée des conclusions officielles.
À leurs yeux, l’enquête publique a pourtant été sans ambiguïté : selon les commissaires, le secteur concerné ne présente pas d’accidentologie supérieure aux moyennes nationales. Le rapport évoque un caractère accidentogène global de la RN 147, mais rappelle qu’elle est moins mortelle que d’autres axes régionaux comme la RN 141 ou la RN 145. Une nuance essentielle pour les militants, qui accusent les porteurs du projet de s’appuyer sur un discours sécuritaire trompeur. Pour Vincent Laroche, de l’association Terre de liens, la dangerosité évoquée relève davantage d’un narratif politique que d’une réalité statistique.
Ce qui électrise encore davantage la mobilisation, c’est le coût du chantier : 132 millions d’euros pour 6,5 kilomètres, soit plus de 20 millions d’euros par kilomètre. Une somme jugée extravagante, bien au-delà de la moyenne nationale estimée autour de 5,8 millions. Pour les opposants, c’est « la route la plus chère de France », un symbole de gâchis financier en pleine période de restrictions budgétaires. Les élus départementaux reconnaissent eux-mêmes un montant « trop élevé », mais défendent la nécessité d’améliorer la circulation et d’offrir une voie plus fluide, notamment aux poids lourds, présentés comme émetteurs de gaz à cause des ralentissements actuels.
Dans les collectivités, l’argument du désenclavement demeure central. La Haute-Vienne, encore marquée par l’abandon du projet de LGV Limoges-Poitiers dans les années 2010, tente de rattraper des décennies d’hésitations et de financements manqués. Pour Guillaume Guérin, président de Limoges Métropole, cette route est un rattrapage stratégique après des années « d’inaction politique ». Il rappelle que la RN 147 est considérée comme l’une des plus dangereuses du pays au kilomètre, tout en admettant que l’explosion générale des coûts de chantier alourdit aujourd’hui la facture.
Cette vision est vivement contestée par Alouettes 87, qui s’interroge sur l’intérêt réel du projet. Le gain de temps annoncé ? Entre une et deux minutes seulement pour les voitures comme pour les poids lourds, selon l’enquête publique. Un résultat que les habitants jugent dérisoire au regard des hectares de forêt sacrifiés. Nicolas Vigier questionne ouvertement la logique de « tout voiture » défendue selon lui par les décideurs locaux, fustigeant une politique qui ignore les transformations sociétales. Il rappelle qu’à l’heure des échanges numériques instantanés, « aller plus vite à Poitiers » n’a plus l’importance qu’on lui prêtait autrefois.
Au fil des semaines, le mécontentement gagne en ampleur. Les mouvements Extinction Rébellion et Les Soulèvements de la Terre ont appelé à une manifestation à Nieul le 30 novembre, tandis que trois procédures sont en cours devant le tribunal administratif. La fronde contre une route trop coûteuse, trop rapide à imposer et trop lourde en impacts environnementaux symbolise un affrontement plus large entre un modèle d’aménagement hérité du XXe siècle et les attentes contemporaines de sobriété territoriale. Un bras de fer qui, en Haute-Vienne, ne fait que commencer.
Sources :
Le Parisien – « En Haute-Vienne, ils disent non à la route la plus chère de France » – lien