Invité de BFM Politique ce dimanche 23 novembre, Jean-Louis Borloo a livré un diagnostic brutal sur l’état du pays, qu’il juge miné par une désorganisation totale. L’ancien ministre plaide pour une refonte profonde de l’action publique, fondée sur un modèle fédéral et une société de confiance. Entre alerte et espoir, il affirme qu’un redressement rapide est possible si la France accepte de “tout remettre à plat”.
Jean-Louis Borloo parle rarement, et il l’a rappelé d’emblée. Lorsqu’il s’exprime, dit-il, c’est parce qu’il estime avoir quelque chose de construit à apporter au débat public. Ce dimanche, sur le plateau de BFM Politique, l’ancien ministre de la Ville n’a pas mâché ses mots. Face à une France qu’il décrit comme “désorganisée”, “paralysée” et “épuisée”, il a défendu l’idée d’une réorganisation radicale du pays, invitant les Français à devenir les acteurs directs d’un nouveau modèle d’action publique.
Pour Borloo, le constat est clair : la France accumule les pires indicateurs de comptes publics d’Europe tout en subissant une pression fiscale parmi les plus élevées du continent. À cela s’ajoute selon lui une thrombose institutionnelle, visible dans tous les secteurs, de l’hôpital à l’éducation, en passant par l’agriculture et le logement. Le taux de mortalité infantile qui remonte, les urgences saturées, les médecins noyés sous les tâches administratives, les agriculteurs contraints de remplir onze heures de paperasse par semaine : autant de symptômes d’un système devenu “kafkaïen”.
Il pointe aussi la fragmentation extrême des responsabilités publiques. Entre les régions, les départements, les communes, les agences nationales, les opérateurs publics, les caisses, les autorités indépendantes, “tout le monde fait tout”, résume-t-il. Résultat : sept financeurs, sept décideurs, des instructions contradictoires, et au bout de la chaîne des citoyens perdus, des élus démunis et des fonctionnaires “héroïques mais sans feuille de route”.
Face à cette paralysie, Borloo propose un choc, une remise à plat générale pour bâtir un système fédéral à la française. Dans ce modèle, les “provinces” deviendraient les pivots de l’action publique quotidienne : logement, santé, éducation, petite enfance, accompagnement social, environnement. L’État, recentré sur ses missions régaliennes – sécurité intérieure, défense, diplomatie, recherche stratégique – retrouverait selon lui clarté et efficacité. L’objectif : sortir d’une organisation où les contrôleurs et coordinateurs prolifèrent, où l’on réunit cinq fois un recteur, un président de département, trois maires et quatre caisses pour débloquer 23 000 euros destinés à un collège rural.
Cette grande simplification, affirme-t-il, n’est pas un rêve technocratique mais une nécessité vitale, illustrée par l’explosion du narcotrafic, la montée des violences juvéniles et l’effondrement des filières éducatives. Selon Borloo, un million et demi de jeunes sont aujourd’hui “perdus de vue”, pendant que 80 000 autres se sont vus refuser l’accès à un club sportif l’année dernière faute d’encadrement. Il cite l’exemple d’Orléans, où un système de réaction immédiate aux difficultés des mineurs – associant éducateurs, psychologues, clubs, écoles et parents via une simple boucle de messagerie – a permis une baisse de 91 % de la délinquance des mineurs. C’est, dit-il, “faire à l’africaine” : une communauté autour de chaque enfant, plutôt qu’une multiplication de dispositifs sans incarnation.
Interrogé sur l’autorité de l’État, la montée des violences ou les propos alarmistes du chef d’état-major des armées, Borloo refuse de s’attarder sur les polémiques. Ce qui l’inquiète davantage, ce sont les morts du quotidien, les enfants victimes de violences, les quartiers abandonnés. Il décrit une “mexicanisation” rampante, fruit non pas d’un manque de moyens mais d’une incapacité à les organiser. Pour lui, si la France devient incontrôlable, ce n’est pas par fatalité mais par abandon collectif de la cohérence.
L’ancien ministre élargit ensuite le regard à l’international. La menace la plus grave, selon lui, ne se situe pas en Ukraine mais au Sahel, où il voit se former “le plus grand califat de l’histoire humaine”, de la mer Rouge à l’Atlantique. À ses yeux, l’absence de stratégie européenne claire, tournée vers l’Afrique et vers la production industrielle, est un aveu d’impuissance. L’Europe, dit-il, s’est construite “comme un supermarché”, et non comme un projet scientifique, culturel ou industriel.
Sur la scène politique française, Borloo refuse d’entrer dans le jeu des étiquettes et des querelles partisanes. À ses yeux, les extrêmes ne sont que “le résultat de nos inconséquences”. Il appelait déjà, en 2018, à un “plan banlieue” construit avec les syndicats, les élus et les acteurs locaux, finalement abandonné par l’exécutif. Aujourd’hui encore, il dit n’être “l’homme de personne” et se positionne comme un “tiers de confiance”. Il assure ne pas préparer d’écurie présidentielle, mais juge qu’en 2027, la France devra trancher sur un véritable modèle d’organisation.
Ce qu’il propose relève moins d’un programme que d’une vision. Une “épopée”, dit-il, capable de rassembler agriculteurs, ouvriers spécialisés, professeurs, syndicalistes, médecins, ingénieurs, entrepreneurs et chercheurs. Une aventure collective où la France cesserait d’être un pays de contrôleurs pour redevenir un pays de créateurs. Une mobilisation où chacun retrouverait une place, un rôle, une utilité.
“On est un très grand pays, mais on est à l’arrêt”, affirme-t-il. Reste à savoir si la nation, lassée de ses impasses, acceptera de redémarrer.
Sources :
BFM TV – Interview de Jean-Louis Borloo dans BFM Politique (23 novembre 2025)