Pour la sixième année consécutive, l’Iran traverse une sécheresse d’une ampleur inédite. Les barrages alimentant Téhéran sont presque à sec et les autorités évoquent, pour la première fois, l’éventualité d’évacuer la capitale et sa banlieue. Entre dérèglement climatique et gestion défaillante de l’eau, le pays semble atteindre un point de rupture.
La scène est devenue tristement familière : des lits de rivières asséchés, des barrages réduits à une poignée d’eau stagnante, des canalisations coupées la nuit pour tenter de soulager un réseau au bord de l’effondrement. L’Iran vit sa sixième année consécutive de sécheresse sévère, et 2025 apparaît comme l’année de tous les dangers. Les autorités ont confirmé que Téhéran, mégapole de plus de 14 millions d’habitants, pourrait être partiellement ou totalement évacuée si les précipitations ne reprennent pas avant la fin novembre. Une mesure extrême, jamais envisagée jusqu’ici, révélatrice de la gravité de la situation.
Les chiffres publiés par le Centre national de prévision météorologique ont alarmé le pays : les précipitations ont chuté de 86 % à l’échelle nationale depuis le début de l’année hydrologique, et de 96 % à Téhéran. Il n’est tombé qu’un seul millimètre de pluie sur la capitale depuis septembre, une sécheresse d’une intensité inconnue depuis un siècle. Les cinq barrages qui alimentent la métropole — Karadj, Latyan, Lar, Mamlou, Taleghan — ne dépassent plus 11 % de leur capacité. Le barrage de Latyan est désormais si vide que son fond est visible à l’œil nu, tandis que celui de Karadj ne contient plus que 7 % d’eau.
Dans la capitale, la population a déjà réduit sa consommation de 10 à 12 % depuis le printemps, mais les autorités exigent désormais un effort de 20 % pour repousser l’échéance d’un effondrement du réseau. Les coupures nocturnes d’eau se multiplient, parfois pendant dix heures d’affilée. Les habitants les plus aisés s’équipent de réservoirs domestiques, mais les plus vulnérables s’inquiètent : comment stocker ce que l’on ne reçoit déjà plus ?
La crise ne se limite pas à Téhéran. À Machhad, deuxième ville du pays, les quatre barrages sont presque entièrement vides. Les autorités locales redoutent, elles aussi, des rationnements imminents. Cette situation s’inscrit dans un contexte de dégradation structurelle des ressources en eau : des années de sécheresse croissante, un changement climatique agressif, une répartition très inégale des précipitations — trois quarts de la pluie tombent sur un quart seulement du territoire — et une expansion des zones désertiques.
Mais les experts insistent sur un autre facteur, plus ancien et plus politique : la gestion chaotique de l’eau depuis la révolution de 1979. Pour consolider sa base sociale, le régime a encouragé un développement agricole massif, souvent irrigué de manière inefficace. L’agriculture représente aujourd’hui près de 90 % de l’eau consommée dans le pays, dont une grande partie se perd. Des barrages ont été construits sans études d’impact fiables, asséchant des rivières, déstabilisant des écosystèmes et réduisant les nappes phréatiques à des niveaux alarmants.
À cette mauvaise gestion de long terme s’ajoute un développement industriel mal réparti, notamment autour d’Ispahan, région désertique où l’eau se fait de plus en plus rare. Le lac d’Ourmia, autrefois l’un des plus importants du Proche-Orient, n’est plus qu’une étendue salée à l’agonie. Selon plusieurs spécialistes, l’Iran fait face non seulement à une crise de l’eau, mais à une faillite hydrique.
Face à cette réalité, les autorités restent nerveuses. Le pays a été secoué par la « guerre des douze jours » avec Israël et les États-Unis en juin, et l’économie demeure fragile. Le président Massoud Pezeshkian a averti qu’un rationnement strict serait imposé dès la fin novembre si les pluies n’arrivent pas. Évoquer l’évacuation de Téhéran — une mégapole parmi les plus densément peuplées du Moyen-Orient — révèle l’angoisse du pouvoir. Mais aucun plan concret n’a été présenté, et des experts jugent irréaliste de transférer l’eau d’autres barrages, eux-mêmes à sec.
Pour Kaveh Madani, directeur de l’Université des Nations unies pour l’eau, « le problème de la faillite hydrique de l’Iran n’est pas nouveau ». Mais il estime que les dirigeants n’ont ni informé la population avec transparence, ni anticipé la gravité de la crise. Aujourd’hui, les autorités doivent naviguer entre crise environnementale et risque de colère sociale. Le spectre d’une migration interne forcée — un exode que les spécialistes n’excluent plus — illustre l’urgence absolue : dans un Iran assoiffé, l’eau est devenue le centre de toutes les peurs.
Sources :
Le Monde – « L’Iran face à sa pire sécheresse depuis six décennies envisage d’évacuer Téhéran » – 13/11/2025 – [lien]