Jeudi 18 septembre, le Sido Lyon a accueilli une conférence qui a marqué les esprits : « Industrialisation de l’espace : nouvel eldorado ou far west ? ». Modérée par David Gal-Regniez, directeur technique contenus et usages chez Minalogic, la table ronde a réuni des intervenants de premier plan : Sébastien Lombard, responsable prospective au CNES, Fabien Apper, CEO de U-Space, Octave de Gaulle, fondateur de Spade Agency, ainsi qu’un représentant d’Interstellar Lab. Tous ont dressé un panorama saisissant des mutations du secteur spatial, entre opportunités économiques et risques de dérive.
Pour Sébastien Lombard du CNES, l’Europe sort d’une période de leadership mondial marquée par le succès des lanceurs Ariane et des satellites de télécommunication géostationnaires. Mais cette position est aujourd’hui fragilisée par la dynamique du New Space américain et chinois. Avec la multiplication des constellations et l’arrivée d’acteurs privés issus du numérique, le spatial connaît une véritable réinvention industrielle. L’espace devient un champ d’expérimentation où se croisent intelligence artificielle, robotique et traitement massif de données. Mais cette effervescence a un prix : saturation des orbites basses, risques de collisions, compétition acharnée pour l’accès aux fréquences, militarisation croissante et vide réglementaire international qui rapprochent le secteur de l’image du far west.
Du côté de Fabien Apper d’U-Space, qui ambitionne de devenir leader européen des satellites de constellation, la transition vers la production de masse est déjà une réalité. Il a rappelé que les nanosatellites et microsatellites ont bouleversé l’économie du secteur en réduisant drastiquement les coûts de fabrication et de lancement. L’entreprise toulousaine, qui ambitionne de produire un satellite par semaine d’ici 2027, incarne ce basculement vers une logique industrielle où la flexibilité et la standardisation sont les maîtres mots. Les précurseurs technologiques testés en orbite ouvrent la voie à des constellations commerciales aux usages multiples : observation de la Terre, suivi des émissions de gaz à effet de serre, cartographie ou encore navigation de précision.
Au-delà de la fabrication terrestre, l’industrialisation s’invite désormais dans l’espace lui-même. Space Cargo Unlimited prépare, avec le véhicule REV1, une nouvelle génération de plateformes orbitales destinées à la recherche et à la production en microgravité. Des expériences pharmaceutiques, comme le développement de molécules anticancéreuses plus efficaces et moins coûteuses, ou la fabrication de fibres optiques de nouvelle génération, montrent déjà le potentiel économique d’un tel modèle. L’idée d’« usines en orbite » n’est plus une fiction, mais une perspective proche, renforcée par l’automatisation et l’usage de l’intelligence artificielle pour réduire les coûts et sécuriser les opérations, comme nous l’a expliqué Sébastien Lombard.
L’humain conserve cependant une place centrale dans cette conquête industrielle. Octave de Gaulle de Spade Agency a rappelé que l’exploration habitée ne représente qu’une petite part de l’économie spatiale, mais qu’elle est essentielle pour préparer l’avenir. Avec le retrait progressif de la Station spatiale internationale et l’émergence de stations privées comme Axiom, société fondée par Michael Suffredini, un ancien de la NASA qui ambitionne de lancer sa propre station spatiale ou Vast, jeune pousse californienne, qui prévoit de lancer sa première capsule spatiale privée, Haven 1, dès 2026, l’enjeu sera d’accueillir non seulement des astronautes professionnels, mais aussi des chercheurs, des artistes ou des ingénieurs. Le design devient alors un facteur stratégique : concevoir des environnements adaptés, réduire les contraintes d’entraînement, imaginer de nouveaux rituels de convivialité comme le projet de champagne spatial l’a démontré ou encore repenser la cuisine en orbite. Ces innovations ont un double intérêt, car elles trouvent aussi des applications directes sur Terre, dans la gestion des ressources et la sobriété énergétique.
Enfin, Jim Rhoné d’Interstellar Lab, qui remplaçait sa CEO Barbara Belvis a présenté les travaux de l’entreprise pour laquelle il travaille sur les systèmes biosphériques capables de recréer des conditions de culture végétale optimales en circuit fermé. Ces modules, utilisés pour la cosmétique ou la pharmacie sur Terre, s’apprêtent à embarquer dans des stations spatiales pour expérimenter la croissance des plantes en microgravité. L’intégration du vivant dans les infrastructures orbitales ne se limite pas à la nutrition : elle touche aussi à la psychologie des équipages et à la capacité de maintenir un lien avec la nature lors de séjours de longue durée. Le partenariat avec la Fondation Antoine de Saint-Exupéry illustre cette dimension symbolique avec l’envoi d’une rose dans l’espace dans le cadre de la mission Petit Prince.
L’industrialisation de l’espace ouvre ainsi un champ immense de possibilités, de la production de masse de satellites à la fabrication de produits pharmaceutiques en orbite, en passant par la conception de nouveaux habitats spatiaux. Mais elle soulève aussi des enjeux critiques : régulation internationale, gestion des débris, prévention des collisions et maîtrise d’un secteur désormais tiraillé entre innovation économique et compétition géopolitique. Le message du Sido Lyon 2025 est clair : l’espace peut devenir un véritable eldorado à condition de dompter son far west technologique et réglementaire.