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Taddei. Photo : @VL

Négociations Trump-Poutine : Taddeï fustige l’amnésie européenne face à soixante-dix ans d’exclusion diplomatique

Alors que la non-invitation de Zelensky et des Européens au sommet Trump-Poutine en Alaska a fait polémique, Frédéric Taddeï rappelle, dans un éditorial acéré, que cette exclusion est tout sauf inédite. Depuis 1955, les Européens n’ont jamais eu voix au chapitre dans les négociations américano-russes.

Une mise au point historique, aussi tranchante que dérangeante. Frédéric Taddeï, directeur de Marianne, signe un éditorial percutant sur la rencontre bilatérale entre Donald Trump et Vladimir Poutine à Anchorage, en Alaska, en l’absence remarquée du président ukrainien Volodymyr Zelensky et des dirigeants européens. Si cette absence a suscité un tollé dans la presse et chez les responsables politiques du Vieux Continent, l’éditorialiste y voit avant tout le symptôme d’un mal plus profond : l’amnésie stratégique de l’Europe.

« Faut-il rappeler que les Européens n’ont JAMAIS été conviés à aucun sommet américano-russe en 70 ans ? » tonne Taddeï. Depuis la conférence de Genève en 1955, à laquelle le Royaume-Uni et la France participaient encore, Washington et Moscou ont toujours mené leurs négociations les plus sensibles de manière strictement bilatérale. La liste est longue et éloquente : Nixon-Brejnev à Moscou (1972) et Washington (1973), Reagan-Gorbatchev à Genève (1985), Reykjavik (1986), Washington (1987) et Moscou (1988), ou encore Bush père et Gorbatchev à Malte (1989) et Helsinki (1990). Jamais les Européens n’ont pesé dans la balance, même lorsque la sécurité du continent était directement en jeu.

Dans cet éditorial, Taddeï démonte la fausse nouveauté que représenterait cette exclusion diplomatique. Il rappelle que ni le Vietnam du Nord, ni l’Afghanistan, ni l’Irak n’avaient été invités aux discussions bilatérales les concernant directement. L’exemple le plus marquant reste celui du président sud-vietnamien Thieu, contraint d’entériner les accords de Paris de 1973 malgré son opposition farouche. Un précédent qui montre, selon Taddeï, que les puissants décident entre eux, et que les États concernés n’ont souvent qu’à s’adapter.

La colère européenne semble d’autant plus déplacée que le choix de l’Alaska, lieu du sommet Trump-Poutine, n’est pas sans symbolique. Là où les grandes rencontres de la guerre froide se tenaient dans des pays neutres (Suisse, Finlande, Autriche), ce sommet s’inscrit dans une ère nouvelle, marquée par la disparition progressive de la neutralité européenne – la majorité des États ayant rejoint l’OTAN ou reconnu la Cour pénale internationale. Ce dernier point empêche de facto la venue de Vladimir Poutine sur leur sol, sous le coup d’un mandat d’arrêt international.

Taddeï insiste enfin sur un point majeur : Volodymyr Zelensky n’est pas dans la position de faiblesse d’un Thieu abandonné par son allié américain. Grâce au soutien massif des pays européens – désormais principaux bailleurs militaires et financiers de l’Ukraine – Kiev conserve un pouvoir de négociation réel. La démonstration de force symbolique orchestrée à Washington lors de la visite du président ukrainien, entouré d’une délégation européenne, visait justement à rappeler cette nouvelle donne.

Loin d’être une anomalie, le sommet de l’Alaska s’inscrit dans une tradition diplomatique assumée par les grandes puissances. Si l’Europe veut peser, elle devra cesser d’être spectatrice indignée de sa propre marginalisation et repenser, avec lucidité, sa place dans le concert stratégique mondial.

Sources : Marianne, éditorial de Frédéric Taddeï publié le 20 août 2025

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