Devant la Cour internationale de justice, la Guinée équatoriale dénonce une « ingérence » de la France après la saisie du luxueux hôtel particulier de Teodorin Obiang à Paris. Derrière cette affaire judiciaire se rejoue un affrontement diplomatique mêlant corruption, souveraineté et accusations de néocolonialisme.
L’adresse est emblématique : 42 avenue Foch, Paris 16ᵉ. Un hôtel particulier de 106 pièces, avec discothèque et hammam, estimé à 107 millions d’euros. Ce bien immobilier, au cœur d’un procès retentissant pour « biens mal acquis », est désormais l’objet d’une bataille judiciaire entre la France et la Guinée équatoriale, portée devant la Cour internationale de justice (CIJ) à La Haye.
Le 15 juillet, les représentants de la Guinée équatoriale ont dénoncé avec force l’attitude de la France, après une intervention de l’agence française de gestion des avoirs saisis (Agrasc) dans le bâtiment. Serrures changées, portails bloqués, caméras désactivées : selon l’ambassadeur Carmelo Nvono-Nca, cette opération matinale s’est déroulée sans préavis ni notification, alors même que les locaux sont, selon Malabo, utilisés à des fins diplomatiques.
Le litige s’inscrit dans le prolongement de la condamnation en appel en 2020 de Teodorin Obiang, fils du président équato-guinéen et vice-président du pays, reconnu coupable de détournement de fonds publics, blanchiment, et abus de biens sociaux. La justice française avait alors ordonné la confiscation de plusieurs de ses biens en France, dont ce fameux hôtel particulier. En 2022, la France s’est dotée d’un cadre légal pour redistribuer les fonds issus de ces confiscations, non pas au budget français, mais aux populations victimes, via des organisations de la société civile.
Pour Malabo, cette législation est perçue comme une atteinte à sa souveraineté. « La France s’arroge le pouvoir de décider de l’utilisation des fonds publics de la Guinée équatoriale », accusent les avocats de l’État africain. Plus encore, ils dénoncent une posture « néocoloniale » et « paternaliste » de Paris, qui déciderait unilatéralement du sort de ressources financières appartenant à un autre État.
La France réfute ces accusations. Le Quai d’Orsay, par la voix de Diégo Colas, rappelle que la Guinée équatoriale « n’a jamais été propriétaire de l’immeuble au regard du droit français », invalidant la prétendue immunité diplomatique. L’intervention de l’Agrasc se justifiait, selon lui, par un signalement de dégradations dans l’immeuble, causant des dommages à un voisin. Il décrit un bâtiment vétuste, occupé par des personnes dans des conditions indignes, sans eau ni électricité, mais revendiqué comme une chancellerie.
Au-delà des aspects juridiques, l’affaire prend une tournure politique. Pour la Guinée équatoriale, cette procédure judiciaire s’apparente à un nouvel épisode d’ingérence dans ses affaires intérieures. Pour la France, il s’agit d’appliquer le droit, en conformité avec ses engagements internationaux contre la corruption.
Reste à savoir ce que décidera la CIJ dans les prochaines semaines. En jeu : non seulement le sort d’un bâtiment de prestige, mais aussi les principes de justice internationale, de souveraineté étatique, et la crédibilité des mécanismes de restitution dans les affaires de biens mal acquis.
Sources : Le Monde, Cour internationale de justice, Quai d’Orsay