Depuis l’Antiquité, le mot « barbare » est utilisé pour désigner « l’autre », celui qui n’est pas comme nous. Mais son origine, loin d’être anodine, nous plonge dans une histoire de langue, de pouvoir et de domination culturelle.
Le terme barbaros (βάρβαρος) apparaît en Grèce antique dès le VIe siècle avant J.-C. Il désigne celui qui ne parle pas grec. Le mot imite le son confus des langues étrangères aux oreilles des Grecs, perçues comme un « bar-bar »incompréhensible, d’où l’onomatopée.
À l’origine, « barbare » n’est donc pas une insulte, mais une simple distinction linguistique et culturelle. Il désigne les non-Grecs : Perses, Égyptiens, Scythes, etc. Toutefois, avec le temps et les guerres, notamment les guerres médiques contre les Perses, le mot prend une connotation péjorative, associée à la violence, à l’ignorance et à la sauvagerie.
Les Romains héritent du mot… et de son mépris
Les Romains reprennent le mot grec « barbarus » pour désigner tous les peuples non romains. À mesure que l’Empire s’étend, les peuples germaniques, celtiques, parthes ou africains sont regroupés sous cette étiquette.
À partir du IVe siècle, notamment avec les invasions dites barbares (Wisigoths, Vandales, Huns, Francs…), le mot devient un symbole de menace pour l’ordre impérial. Être barbare, c’est ne pas être civilisé, ne pas appartenir à la culture gréco-romaine, et souvent : être l’ennemi.
Une utilisation chrétienne et médiévale
Au Moyen Âge, le mot barbare continue d’être utilisé dans la culture latine chrétienne pour désigner les peuples non chrétiens ou musulmans. Il sert à hiérarchiser les civilisations, opposant la « chrétienté » à des peuples jugés incultes, païens ou hérétiques.
Cependant, certains lettrés arabes ou musulmans de l’époque renvoient le terme à l’envoyeur, utilisant eux aussi des mots pour désigner les peuples européens comme ignorants et impurs.
De la colonisation à la philosophie des Lumières
À l’époque moderne, avec les conquêtes coloniales, le mot « barbare » devient un outil idéologique. Il sert à justifier l’expansion européenne, en présentant les peuples d’Afrique, d’Amérique ou d’Asie comme primitifs, donc à « civiliser ».
Paradoxalement, les philosophes des Lumières, notamment Montesquieu ou Rousseau, utilisent le mot pour interroger les préjugés occidentaux. Chez eux, le « barbare » devient parfois celui qui oppresse, celui qui détruit au nom de la civilisation.
Un mot qui révèle les rapports de domination
Aujourd’hui encore, le mot « barbare » est chargé. Il est parfois utilisé pour désigner des actes de violence extrême, mais aussi pour dénoncer l’inhumanité. Pourtant, son histoire montre que le barbare n’est jamais qu’un reflet inversé : c’est celui que l’on choisit d’exclure, souvent pour affirmer sa propre supériorité, ou celui que l’on cherche à déshumaniser.