Un rapport explosif met en lumière les failles du système de contrôle des eaux minérales en France. La commission d’enquête sénatoriale pointe du doigt des complicités entre l’État et Nestlé, concluant à des omissions et à une forme d’autocensure de l’administration sur la qualité sanitaire de certaines marques emblématiques d’eau en bouteille.
Dans le viseur des sénateurs, Nestlé Waters France et les services de l’État, accusés d’avoir minimisé l’ampleur de contaminations dans certaines sources du groupe, notamment celles de Perrier, à Vergèze (Gard). Le rapport, fruit de six mois d’enquête parlementaire, affirme que l’administration a volontairement atténué la gravité d’un avis scientifique initial, à la demande de Nestlé. Ce document officiel évoquait pourtant d’importantes altérations microbiologiques sur certaines sources entre 2020 et 2022.
Un rapport officiel édulcoré
Ce sont les révélations du Monde et de Radio France qui ont levé le voile sur cette affaire, mettant en cause une version tronquée d’un rapport de la Direction générale de la santé (DGS). Celui-ci aurait initialement souligné des risques de contamination transitoire des eaux commercialisées par Nestlé, mais l’essentiel du contenu aurait été retiré avant publication.
Les auditions menées par les sénateurs révèlent un travail de réécriture poussé : selon la commission d’enquête, l’avis finalisé en 2023 ne comportait plus les conclusions alarmantes des experts sanitaires. Ce processus d’édulcoration, retenu comme une forme de compromission entre le régulateur et l’industriel, a conduit les sénateurs à parler de « liaisons dangereuses » entre le géant suisse et certaines autorités administratives françaises.
Nestlé Waters France récuse toute manœuvre
De son côté, le groupe Nestlé a fermement contesté toute pression ou intervention destinée à modifier le contenu de rapports officiels. L’entreprise assure avoir respecté scrupuleusement le droit en vigueur et les recommandations des autorités sanitaires. Dans un courrier transmis aux membres de la commission, Nestlé affirme n’avoir été informé de l’avis initial qu’après sa reformulation.
L’entreprise fait aussi valoir que la qualité microbiologique de ses eaux à la sortie des lignes d’embouteillage reste conforme aux normes sanitaires. Toutefois, selon les éléments recueillis par la commission, l’entreprise aurait bel et bien intensifié ses traitements des eaux en interne à partir de 2020, sans toujours le déclarer comme tel, en contradiction avec les exigences propres aux eaux « minérales naturelles », censées être embouteillées sans traitement chimique.
Des dysfonctionnements structurels dans le contrôle
Le rapport pointe également des dysfonctionnements plus larges dans la chaîne de surveillance des eaux en bouteille. Les sénateurs dénoncent un manque d’indépendance des administrations sanitaires, une transparence insuffisante sur les incidents de contamination, ainsi qu’un flou juridique entourant les pratiques de filtration ou de désinfection des eaux qualifiées de « naturelles ».
Les auditions ont notamment mis en évidence une proximité marquée entre certains hauts fonctionnaires et les industriels du secteur. En toile de fond, les sénateurs soulignent l’existence de mécanismes d’influence, où les intérêts économiques peuvent entrer en collision avec l’exigence de protection de la santé publique. « L’État s’est parfois comporté comme un partenaire industriel plus que comme un garant de l’intérêt général », avance l’un des membres de la commission.
Une vigilance accrue du côté du Sénat
La commission d’enquête recommande une série de réformes pour renforcer l’indépendance des agences sanitaires, revoir la définition légale des eaux minérales, et rendre publics les rapports d’inspection. Elle alerte aussi sur une forme de laxisme administratif, entretenu par le manque de séparation claire entre les responsabilités réglementaires et économiques des acteurs publics.
Ce rapport alimente un débat plus large sur la transparence des informations liées à la qualité de l’eau potable et minérale. Il relance également la question du modèle économique des grandes marques de l’agroalimentaire et de leur relation avec les pouvoirs publics, dans un contexte où la confiance des consommateurs repose aussi sur une exigence de rigueur et d’intégrité.
Reste à savoir comment les autorités répondront à ces conclusions. Car au-delà des cas particuliers, c’est bien un mode de fonctionnement global qui semble remis en cause par les sénateurs – un système dans lequel la puissance publique paraît, parfois, s’incliner devant des intérêts privés.