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Légende: Iris Van Herpen, Collection Crystallization à la Fashion Week Amsterdam Printemps/Eté 2011

Des Pixels aux Podiums : la mode 2.0

Les avancées technologiques ont bouleversé l’industrie de la mode rehaussant son efficacité et poussant la frontière entre réalité et phantasmes littéraires et cinématographique. Toujours est-il que pour pallier la surproduction de vêtements, des pratiques plus durables et des réglementations s’imposent.

Légende : Atsuko Tanaka, Première robe électrique Electric Dress, 1956

La Conception assistée par ordinateur (CAO) a transformé la manière dont les designers échafaudent leurs œuvres. Jumelée à l’automatisation de la production, la création devient un jeu d’enfant. Dans le monde de la mode, davantage de robots sont utilisés et adaptés pour des tâches telles que la coupe, le pliage et l’emballage des vêtements. Avec la CAO, la rapidité et la précision des directeurs artistiques et des petites mains n’ont fait que croître depuis 1957, date de naissance du programme PRONTO (Program for Numerical Tooling Operations), premier langage de programmation de contrôle numérique. 

Avec la modélisation 3D, les vêtements peuvent être visualisés sous moult facettes, les tissus et les motifs testés. L’ajustement sur les différentes morphologies se fait à présent en quelques clics. L’inclusion des imprimantes 3D a révolutionné le processus de prototypage, permettant aux designers de créer des échantillons physiques en quelques heures. Des projets aux formes et structures jusqu’alors futuristes deviennent possibles. Un exemple ? Celui d’Iris van Herpen, pionnière dans l’emploi de la modélisation. Cette créatrice néerlandaise de 39 ans séduit avec ses robes structurales et squelettiques avant-gardistes. « J’ai compris le potentiel de cette technique et l’ai progressivement intégrée à mon travail. Lors de mon premier défilé haute couture à Paris, en 2011, la moitié de la collection était imprimée en 3D », confiait-elle en 2021.

Légende: Iris Van Herpen, Collection Crystallization à la Fashion Week Amsterdam Printemps/Eté 2011

La technologie ouvre ses portes aux innovations créatives 

On assiste à une démocratisation de ces techniques, un bond fulgurant dans l’histoire de la mode. Quoique pour l’hors norme Iris van Herpen, les avancées sont encore trop lentes et la fashion trop fast. « Quand j’ai commencé à travailler avec l’impression 3D, cela faisait vingt ans que la technique existait, mais avant de l’amener dans la mode, il a fallu au moins dix ans pour qu’elle soit suffisamment sophistiquée. C’est la même chose avec les nouvelles technologies que je vois arriver », a-t-elle expliqué en novembre dernier. Sous couvert d’un sentiment de frustration, elle évoque ses ambitions toujours plus grandissantes : « Je suis constamment guidée par ma curiosité, et il y a encore tellement de choses à découvrir ! Par exemple, en ce moment on progresse beaucoup dans l’impression 4D ». Ici l’artiste évoque un processus par lequel un objet imprimé en 3D modifie lui-même sa structure au contact d’une énergie extérieure comme la température, la lumière ou d’autres stimuli environnementaux. Des chercheurs ont présenté en 2024 une robe composée d’une seule pièce en maille dont la forme s’adapte à la polymorphie des corps avec la chaleur. De facto, cette innovation impulsée par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) et la marque de prêt-à-porter Ministry of Supply fait trembler la mode jetable.

Légende : La robe 4D développée par MIT à des fin écologique (2024)

La robotique s’ouvre à la haute couture avec des œuvres hybrides comme celle proposée par Herpen pour sublimer Mona Patel au Met Gala. Cette année le thème était « Garden of Time » et la femme d’affaires indienne peu connue des foules a fait gronder les réseaux sociaux avec une robe papillon dont les multiples ailes brodées sur les manches battaient délicatement.

Légende : Mona Patel portant une robe signée Iris Van Herpen : Met Gala (2024)

Concernant l’Intelligence artificielle, pour l’artiste, l’outil reste intéressant, bien qu’il ne puisse remplacer la fantaisie humaine. « J’utilise l’IA à des fins plus éducatives : en ce moment, je mets au point mon propre outil. Nous y intégrons tout le contenu disponible à mon sujet, pour qu’il puisse s’approcher de plus en plus de moi jusqu’à répondre à ma place ». Bienvenue dans le futur.

Légende : Robe spray-on fabric vaporisée sur Bella Hadid (2022)
La robe en spray, vaporisée sur Bella Hadid lors du défilé Coperni printemps-été 2023, a captivé l’attention du monde entier. Le Spray-on fabric est une technologie développée par le duo de créateurs Sébastien Meyer et Arnaud Vaillant en collaboration avec le scientifique Manel Torres. Développé pour des applications médicales telles que la pulvérisation de pansements sur les grands brûlés, le produit a élargi son champ d’application. L’image de Bella Hadid marchant sur le podium, dénudée, tandis que deux hommes en noir pulvérisent une solution pour créer une robe en tissu, a captivé l’attention du public du monde entier.
Légende : Test de looks sans passer par la case cabine d’essayage 
– Sweetfit/vidéo
Évolution des moyens de consommation : En parallèle, de nouveaux moyens de consommation font leur apparition. Entre autres, la réalité augmentée pour permettre aux clients d’essayer et personnaliser les vêtements virtuellement. En magasins, les smart mirrors présents dans les cabines de diverses chaînes permettent aussi de customiser ses choix d’essayage.

Les limites de la technologie dans l’industrie de la mode 

Malgré les nombreux avantages qu’elle apporte, la technologie dans l’industrie n’est pas sans limite. L’automatisation et la robotisation peuvent entraîner une surproduction de produits. En dépit d’une légère baisse de 0,7 % des ventes par rapport à 2023, la consommation de textile reste trop forte en France. Certaines technologies de pointe nécessitent l’utilisation de matériaux coûteux ou difficiles à recycler, aggravant ainsi le problème de durabilité et d’environnement.

Légende : Impact environnemental des textiles-parlement européen (avril 2024)

En outre, une simple erreur dans une chaîne de production automatisée peut entraîner des défauts de qualité colossaux. La peur de l’obsolescence des métiers face à l’IA préoccupe et soulève des questions concernant les droits de l’homme et les conditions de travail. 

Les solutions apportées pour pallier la surconsommation 

Dans le domaine de la mode durable, quelques marques se distinguent par leur engagement en faveur de l’écologie. Parmi elles, la marque suédoise Filippa K a lancé une gamme de vêtements conçus pour être facilement recyclés, avec son initiative « Close The Loop ». Les clients peuvent rapporter leurs vêtements usagés, ils sont ensuite acheminés pour être transformés. De même, Stella McCartney, une marque britannique, se démarque en utilisant des matériaux durables et végétaliens dans ses collections, éliminant ainsi les produits d’origine animale.

Exemple d’alternative : le cuir d’ananas Considéré comme plus souple que le cuir traditionnel, le Piñatex élaboré par Carmen Hijosa, est une alternative intéressante et peu polluante car provient des fibres des feuilles d’ananas initialement destinées à être des déchets.

Le 14 mars une proposition de loi visant à atténuer l’impact environnemental de l’industrie textile a été adoptée à l’Assemblée générale. Les mesures comprennent un système de bonus/malus pour encourager les pratiques durables et l’obligation pour les vendeurs en ligne de sensibiliser à l’impact écologique de la mode. Le monde des réseaux sociaux est également repensé avec l’interdiction pour les influenceurs de publier des contenus publicitaires faisant la promotion d’entreprises de fast fashion (ex : Shein, H&M, Primark, Zara…). 

Bien que cette proposition de loi soit encourageante et reflète une prise de conscience, cette dernière doit se généraliser. Une piqûre de rappel ? La fast fashion c’est : 20 % de la pollution mondiale d’eau potable et 10 % des émissions de CO2, soit plus que l’ensemble des vols et transports maritimes internationaux d’après le site du parlement européens. Il reste encore de nombreuses actions à bâtir avant d’aboutir à une mode véritablement responsable et éthique.

Des chiffres en plus ? : Les marques qui bannissent les produits chimiques ne représentent encore que 15 % de la production. Greenpeace ajoute : « une paire de jeans peut parcourir jusqu’à 65 000 km avant d’arriver sur son lieu de vente. Quand on sait que Zara renouvelle ses rayons 24 fois chaque année… En France, on achète en moyenne près de 10 kg de textiles et chaussures par habitant chaque année… Seulement 36 % des vêtements partent dans les bacs de recyclage dédiés. ».

Par Armelle Hervé

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