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Dima de Clerk. Image : Capture d'écran chaine Youtube Les clés du Moyen-Orient.

Liban : fracture identitaire et guerre civile silencieuse selon Dima de Clerck

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Alors que le Liban est confronté à des tensions croissantes sur la scène intérieure, l’historienne franco-libanaise Dima de Clerck alerte sur la profondeur d’une fracture politique et identitaire. Dans un entretien accordé au quotidien Le Monde, elle décrit l’état du pays comme celui d’une guerre civile larvée, dominée par une lutte idéologique sur la position nationale vis-à-vis d’Israël.

Loin des combats ouverts qui ont marqué son histoire récente, le Liban traverse aujourd’hui une forme de conflit plus silencieuse, moins visible mais tout aussi destructrice d’un point de vue social et politique. Selon Dima de Clerck, ce conflit intérieur oppose deux visions diamétralement opposées de l’avenir du pays : d’un côté, ceux pour qui la normalisation des relations avec Israël s’impose comme une voie de sortie de crise ; de l’autre, les partisans d’une résistance durable, dominée par la crainte d’une agression israélienne toujours possible. « Il règne aujourd’hui une guerre civile sourde au Liban », affirme l’historienne.

Une fracture politique profondément enracinée

Cette division ne date pas d’hier. Elle puise ses racines dans des décennies de conflits, d’occupations et d’accords internationaux non appliqués. La mémoire de la guerre civile libanaise (1975–1990), du retrait israélien de 2000 ou encore de la guerre de 2006 continue de structurer les choix politiques et l’imaginaire collectif. D’un camp à l’autre, la perception d’Israël oscille entre possibilité de paix régionale et menace permanente. Pour de nombreux Libanais, toute main tendue vers Israël est perçue comme une trahison nationale ; pour d’autres, c’est une condition sine qua non d’un avenir stable.

Dima de Clerck insiste sur le fait que ce clivage ne se limite pas aux sphères politiques ou stratégiques. Il façonne également les représentations communautaires, les appartenances et les récits de l’histoire libanaise. Elle évoque une société éclatée, où le désaccord sur la posture à adopter vis-à-vis de l’État hébreu ravive d’anciennes lignes de fracture confessionnelles et territoriales. « Ce ne sont pas seulement deux positions politiques, mais deux manières irréconciliables de concevoir le Liban », estime-t-elle.

Le Hezbollah au cœur des tensions

Au centre de cette polarisation se trouve le Hezbollah. Considéré par ses partisans comme une force de résistance légitime contre Israël, il est accusé par ses détracteurs de compromettre la souveraineté de l’État libanais en menant une stratégie militaire indépendante. Cette double identité politico-militaire renforce les divisions internes et entretient un climat de défiance généralisée. Le mouvement chiite est devenu l’un des symptômes les plus visibles de la crise de l’État libanais, mais aussi un acteur incontournable du rapport de force régional, pour l’historienne.

Le rôle du Hezbollah dépasse la simple opposition militaire à Israël. Il structure une partie de la vie politique, sociale, mais aussi idéologique du pays. Dima de Clerck souligne que cette position dominante, dans un contexte d’effondrement économique et d’affaiblissement de l’État, alimente une spirale de désengagement de l’État central vis-à-vis de ses responsabilités. Le vide est alors rempli par des acteurs non étatiques, enracinés dans des logiques communautaires et souvent dépendants d’alliances régionales conflictuelles.

Un climat délétère porté par les crises accumulées

La parole de l’historienne s’inscrit dans un contexte de crises multiples : effondrement financier, paralysie politique, explosion du port de Beyrouth en 2020, sans oublier les conséquences du conflit israélo-palestinien sur l’ensemble de la région. Dans ce cadre, la polarisation autour de la relation à Israël ne fait qu’accentuer les sentiments d’abandon, de colère et de peur qui traversent la population libanaise. Ce climat empêche la mise en œuvre de réformes structurelles tant attendues et renforce le repli identitaire.

L’impasse est d’autant plus alarmante qu’elle s’éternise. Le Liban ne vit pas une guerre civile ouverte, mais les tensions accumulées structurent un quotidien marqué par la défiance, la méfiance intercommunautaire et la perte de repères institutionnels. Pour Dima de Clerck, c’est précisément cette violence latente, informelle, qui rend la situation si dangereuse pour l’avenir du pays. « Ce que nous vivons est une guerre civile d’un nouveau type », martèle-t-elle.

Cette guerre sourde, non déclarée, alimente l’érosion d’un tissu national déjà mis à mal par des décennies d’ingérence étrangère et de divisions internes. Elle interroge non seulement l’avenir du Liban en tant qu’État uni, mais aussi la capacité de ses institutions à incarner autre chose qu’un champ de bataille idéologique.

Source : Le Monde.

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