En Pennsylvanie, berceau de la sidérurgie américaine, Donald Trump a annoncé hier un virage stratégique spectaculaire : non seulement il valide finalement la reprise du géant US Steel par le japonais Nippon Steel, mais il relance aussi la guerre commerciale en doublant les droits de douane sur l’acier importé.
Lors d’un discours devant des centaines d’ouvriers réunis à l’usine US Steel Mon Valley Works-Irvin, le président américain a été fait « sidérurgiste d’honneur » et accueilli comme un héros ce vendredi 30 mai. Il a profité de l’occasion pour annoncer un doublement des droits de douane sur l’acier, qui passeront de 25 % à 50 % dès le 4 juin, affirmant vouloir « empêcher qu’on vole notre industrie ».
Une volte-face stratégique
Durant sa campagne, Trump s’était opposé avec virulence au rachat de l’emblématique entreprise américaine par le groupe japonais. Il promettait alors de bloquer l’opération « instantanément ». Mais une fois revenu au pouvoir, le président républicain a fini par lever le veto de Joe Biden, son prédécesseur. La promesse de 14 milliards de dollars d’investissements par Nippon Steel sur le sol américain, et la création ou sauvegarde de 100 000 emplois ont pesé dans la balance.
Plutôt qu’un rachat, Trump parle désormais de « partenariat stratégique » et vante les nouvelles installations prévues dans l’Indiana, le Minnesota, l’Alabama et l’Arkansas. Il a même annoncé un bonus de 5 000 dollars pour les ouvriers.
Une guerre commerciale relancée
Avec cette décision, Trump relance les tensions commerciales avec les principaux producteurs mondiaux d’acier, notamment le Japon, la Corée du Sud et l’Union européenne. Ces pays espèrent éviter de nouvelles surtaxes en concluant un accord global avant le 9 juillet. Mais l’administration Trump, furieuse d’une décision de justice ayant suspendu ses droits de douane élargis, montre sa détermination à poursuivre sur la voie protectionniste.
Une entreprise hautement symbolique
US Steel incarne une entreprise profondément liée à l’histoire politique et industrielle des États-Unis. Héritière de l’empire sidérurgique bâti au XIXe siècle par Andrew Carnegie, elle porte aussi l’empreinte de son bras droit, Henry Frick, tristement célèbre pour avoir ordonné l’envoi de la milice contre des ouvriers grévistes à Homestead, dans la banlieue de Pittsburgh, en 1892 — un épisode marquant dans l’histoire du mouvement syndical, qui se solda par la mort de seize personnes et de nombreux blessés.
Rachetée en 1901 par le puissant banquier John Pierpont Morgan, l’entreprise adopte alors le nom de US Steel. Ses hauts-fourneaux deviendront l’un des piliers de l’industrialisation américaine, participant à l’édification des gratte-ciel, à la construction de ponts emblématiques et à la fabrication des navires de guerre qui façonneront la puissance des États-Unis au XXe siècle.
Ancien fleuron américain, elle est aujourd’hui largement affaiblie et ne figure plus dans l’indice S&P 500. Sa reprise par Nippon Steel — quatrième producteur mondial — vise à contrer la domination chinoise sur le marché mondial de l’acier.
Pour rassurer les critiques, Trump affirme que la société restera « sous contrôle américain ». Nippon Steel aurait accepté de nommer un conseil d’administration composé majoritairement d’Américains, et de se soumettre à un contrôleur fédéral.
En Pennsylvanie, un enjeu électoral
La Pennsylvanie, bastion ouvrier et État clé des élections, a été le théâtre d’une véritable joute protectionniste entre Trump et Biden en 2024. Après avoir renoncé à sa candidature, Joe Biden avait cédé la place à Kamala Harris, également opposée au rachat. Mais Trump a attendu le bon moment politique pour valider l’opération.
Malgré les critiques de certains syndicats et élus locaux, le président américain joue la carte de la reconquête industrielle, quitte à s’aligner sur des positions autrefois décriées. Une stratégie électoraliste assumée, dans une région marquée par le déclin industriel et les promesses non tenues.
source : Le Monde.