La Cour des Voraces sur les pentes de la Croix-Rousse à Lyon, ne se contente pas d’être un exemple d’architecture canuse liée à l’industrie de la soie. Son nom évoque un passé tumultueux où les ouvriers canuts, surnommés les Voraces, se sont rebellés contre les injustices sociales. L’origine de ce nom pourrait également révéler l’influence discrète mais significative de la maçonnerie, jouant un rôle crucial lors des révolutions des Canuts au XIXe siècle.
Construite vers 1840, cette cour représente l’architecture typique dite « canuse », intimement liée à l’industrie de la soie qui a profondément marqué ce quartier lyonnais.
Origine et Histoire
Le nom de la Cour des Voraces puise ses racines dans l’histoire mouvementée des ouvriers canuts de Lyon. Une théorie courante affirme que ce nom est directement lié au groupe d’ouvriers canuts appelés les Voraces, célèbres pour leurs insurrections républicaines en 1848 et 1849, à la fin de la Monarchie de Juillet. Cette cour aurait même été le théâtre d’une bataille entre les canuts et les soldats de l’armée régulière lors de la seconde insurrection des Voraces en 1849.
Une autre hypothèse suggère que la Cour des Voraces, tirerait son nom des « Dévoirants », les membres d’une loge d’une organisation mutualiste, le « Devoir mutuel »,
Le mutualisme
Le mutualisme est une théorie économique socialiste libertaire qui promeut des relations économiques aussi égalitaires que possible. Elle fut développée par Pierre-Joseph Proudhon, initié à la loge Sincérité, Parfaite Union et Constante Amitié du Grand Orient de France à Besançon le 8 janvier 1847. Pierre Charnier, un autre père fondateur du mutualisme parmi les Canuts, était un grand admirateur de Jacques Delille, un franc-maçon renommé. C’est d’ailleurs Charnier, qui est à l’origine du « Devoir mutuel » ou « Société d’indication et d’assistance mutuelles », qui fût nommée dans un premier temps la « Société de Surveillance et d’Indication mutuelle » et comptabilisera plus de 2 800 adhérents. Fondée en 1827, cette loge proposait aux canuts une aide en cas de maladie, de chômage ou pour la retraite, contre cotisation et un comportement irréprochable. Elle représentait un groupe de résistance aux exigences des fabricants. Les fabricants ont vu dans cette initiative un moyen d’organiser le monde ouvrier en conditionnant l’adhésion à l’exclusion du libertinage, de l’ivrognerie et de la brutalité.
Charnier qui est à l’origine de « la réforme des abus » a toutefois joué un rôle important lors de la première révolte des Canuts qui a eu lieu en 1831, au tout début de la Monarchie de juillet, en réaction au refus des fabricants d’une augmentation des tarifs de la main d’œuvre. Il devint également un des représentants des Canuts au conseil des prud’hommes où il siégea de 1832 à 1857.
L’Historien des Canuts, Fernand Rude, décrivait le Mutualisme comme « franc-maçonnerie ouvrière visant à neutraliser les aspirations révolutionnaires de la bourgeoisie ».
Cependant, après l’échec de l’insurrection de 1831, les républicains parisiens, comprenant de nombreux Francs-maçons, dépêchèrent des émissaires à Lyon pour établir un réseau de sociétés secrètes, souvent en collaboration avec les associations de compagnonnage des artisans de la soierie.
À la fin de 1833, le gouvernement ne s’attendait pas du tout à une nouvelle insurrection à Lyon, étant donné la conjoncture économique favorable et la prospérité de l’industrie lyonnaise de la soie à cette époque. Cependant, les républicains ont manœuvré habilement pour créer une situation insurrectionnelle, profitant d’un conflit salarial survenu en février parmi les ouvriers de la peluche. Il semblerait ainsi que la Maçonnerie ait encore une fois été à la manoeuvre.
Un Lieu de Mémoire
La réputation de la Cour des Voraces s’est également forgée durant la Seconde Guerre mondiale, lorsque les traboules lyonnaises comme celle-ci ont servi de refuges et de voies clandestines pour la Résistance contre l’occupant allemand. Ces passages secrets ont joué un rôle crucial dans les activités de résistance, échappant ainsi à la surveillance ennemie.
Réhabilitation et Reconnaissance
En 1995, l’association Habitat et Humanisme, dirigée par le père Bernard Devert, a acquis la Cour des Voraces à Lyon. Cette acquisition a marqué le début d’une phase de réhabilitation qui a métamorphosé ce site historique en un symbole contemporain de l’habitat social dans la ville.
Interrogé par la mission prospective du Grand Lyon Millénaire III en septembre 2010 sur ses relations avec la Franc-maçonnerie, Bernard Devert avait souligné que, à l’exception de quelques anticléricaux intégristes, elles étaient « excellentes ! ».