L’Iran semble sur le point de franchir une étape décisive dans son programme nucléaire, une situation qui menace de bouleverser l’équilibre géopolitique au Moyen-Orient. Tandis que Téhéran se rapproche dangereusement de la fabrication d’une bombe atomique, Israël se prépare à des mesures drastiques, qui pourraient s’avérer contre productives, plaçant la région et le monde entier au bord d’un basculement.
Depuis plusieurs années, l’Iran a intensifié son programme d’enrichissement d’uranium, se rapprochant chaque jour un peu plus du seuil critique pour développer des armes nucléaires. Si une fatwa du Guide suprême, Ali Khamenei, datant d’une vingtaine d’années, interdit le développement d’armes nucléaires, la République islamique possède déjà les infrastructures nécessaires, incluant des mines d’uranium, des réacteurs et des ingénieurs qualifiés.
En août dernier, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a révélé que Téhéran avait accumulé près de 165 kg d’uranium enrichi à 60 %, un niveau extrêmement proche des 90 % requis pour une bombe nucléaire. Cette quantité de matière fissile pourrait suffire à fabriquer plusieurs bombes, une situation que les États-Unis qualifient de critique, d’autant que Téhéran est capable d’enrichir à 90 % son uranium. Dans son rapport d’août, l’AIEA a indiqué que l’Iran a accumulé officiellement 164,7 kilos de matière enrichie à 60 %, ce qui peut déjà lui permettre de disposer de la matière fissile pour plus de trois bombes. Antony Blinken, secrétaire d’État américain, estime d’ailleurs que l’Iran pourrait disposer de suffisamment d’uranium enrichi pour une arme nucléaire en à peine deux semaines.
Les capacités balistiques de l’Iran : un facteur aggravant
Cependant, accumuler la matière fissile n’est qu’une étape. Le défi technologique réside également dans la fabrication d’ogives capables de transporter cette bombe. Or, l’Iran dispose déjà de missiles balistiques sophistiqués, capables de parcourir des distances significatives. Certains d’entre eux, tels que les Sejjil, ont une portée de près de 1 500 kilomètres, couvrant ainsi l’ensemble du territoire israélien. Que dire également des fameux missiles hypersoniques Fattah utilisés le 1er octobre dernier et qui peuvent eux aussi accueillir une ogive nucléaire ? Les experts estiment que si Téhéran décidait de franchir le cap du nucléaire militaire, il lui faudrait entre six et dix-huit mois pour achever la mise au point de l’arme nucléaire complète.
Israël en alerte : vers des frappes préventives ?
Le gouvernement de Benyamin Netanyahou, qui a depuis longtemps exprimé son opposition farouche au programme nucléaire iranien, pourrait envisager des frappes préventives sur les installations atomiques de l’Iran. Une ligne rouge, pour Joe Biden, qui a ‘est opposé mercredi dernier à une telle solution.
De plus, une telle opération ne serait pas sans risques. Les sites clés du programme iranien, comme ceux de Fordow et Natanz, sont profondément enfouis sous terre, ce qui les rend difficilement accessibles aux frappes aériennes classiques, même si comme on a pu s’en rendre compte lors de l’assasinat des leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, Israël et leur allié américain disposent de bombes capables d’atteindre des bunkers en profondeur. La dispersion géographique des installations sur tout le territoire iranien complique davantage une attaque efficace. D’autres analystes, comme Daria Dolzikova, analyste au groupe de réflexion londonien Rusi, avancent que les frappes israéliennes pourraient même inciter l’Iran à accélérer ses ambitions nucléaires.
Le jeu dangereux de l’« entre-deux »
Pour l’heure, l’Iran semble maintenir son programme nucléaire dans une zone grise : ni complètement civil, ni véritablement militaire. Cette ambiguïté stratégique permet à Téhéran de bénéficier d’une forme de dissuasion sans avoir à supporter les coûts politiques et diplomatiques liés à la possession officielle d’armes nucléaires. Toutefois, cet équilibre précaire pourrait se rompre à tout moment, surtout si Israël ou ses alliés décidaient d’agir militairement. Si Téhéran se sentait directement menacé, il pourrait non seulement expulser les inspecteurs de l’AIEA, mais aussi se retirer du Traité de non-prolifération nucléaire, comme l’a fait la Corée du Nord en 2003 avant de procéder à son premier essai nucléaire en 2006.
Un impact géopolitique mondial
Le développement d’une arme nucléaire par l’Iran aurait des répercussions bien au-delà du Moyen-Orient. Une telle évolution pourrait provoquer une course aux armements dans la région, incitant des pays comme l’Arabie saoudite ou la Turquie à envisager des programmes nucléaires pour contrer la puissance iranienne. Sur le plan global, cela entraînerait une révision complète des relations internationales, et particulièrement des alliances stratégiques dans la région. Les États-Unis et leurs alliés européens se retrouveraient confrontés à un dilemme difficile : accepter l’Iran comme puissance nucléaire ou intensifier les sanctions et les actions diplomatiques pour tenter de freiner ses ambitions.
Une situation complexe pour les négociations
Depuis le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA) en 2018, sous la présidence de Donald Trump, les tentatives pour relancer les négociations sont restées au point mort. Bien que l’administration Biden ait exprimé son intérêt pour un retour à l’accord, les progrès ont été lents, et l’Iran a continué d’accumuler de l’uranium enrichi.
Au début du mois de septembre dernier, Seyed Abbas Araghchi, ministre des Affaires étrangères du président iranien Massoud Pezeshkian et ancien vice-ministre des Affaires étrangères, a été personnellement nommé par le guide suprême Ali Khamenei pour négocier avec les États-Unis sur la question du nucléaire iranien. S’il a rapidement adopté une posture de fermeté vis à vis des américains, soulignant que sous sa forme actuelle, le JCPOA n’était pas négociable, il avait déjà joué un rôle clé dans les négociations nucléaires iraniennes et avec son profil de diplomate international ayant étudié à l’Université britannique de Kent, il semblait un interlocuteur de choix pour les occidentaux.
Lors de sa nomination, notre ami, Hamid Enayat, politologue proche du CNRI, estimait d’ailleurs que « le régime pourrait envisager de réduire son enrichissement d’uranium à 90 % et même d’autoriser des inspections par l’Agence internationale de l’énergie atomique pour obtenir un certain allègement des sanctions », « sans pour autant renoncer complètement à ses ambitions nucléaires ».
Depuis la situation a dégénéré entre Israël et l’Iran, comme en témoigne les frappes qui ont touchés l’état hébreu la semaine dernière. Hier, en conférence de presse, Joe Biden et la porte-parole de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre ont expliqué que le président avait réuni son équipe de sécurité nationale pour surveiller de près les développements après les récentes attaques iraniennes et s’assurer que les États-Unis sont prêts à défendre Israël et leurs intérêts dans la région. Intériogé sur de possibles frappes israéliennes sur les champs pétroliers Iraniens, Biden a déclaré qu’à la place des Israéliens, il « réfléchirai(t)s à d’autres alternatives ».