Face à une dette publique en hausse et à un déficit record, la France pourrait bientôt bénéficier du TPI, l’« instrument de protection de la transmission » de la Banque centrale européenne. Mis en place en 2022 mais jamais activé, ce mécanisme agit comme un véritable filet de sécurité pour éviter un scénario à la grecque.
La situation budgétaire française inquiète, mais ne panique pas encore. Malgré un déficit public attendu à 5,4 % du PIB et une dette flirtant avec 114 %, la France échappe pour l’instant à une flambée des taux d’emprunt. Une stabilité étonnante, alors que les marchés auraient pu sanctionner le pays après la dissolution de 2024 et les retards répétés du budget.
Pourquoi cette relative sérénité ? Une explication se trouve du côté de Francfort, au siège de la Banque centrale européenne (BCE). Depuis 2022, celle-ci s’est dotée d’un nouvel outil discret mais puissant : le TPI, pour Transmission Protection Instrument.
Concrètement, ce dispositif autorise la BCE à acheter massivement les obligations d’un État membre de la zone euro en cas de tensions financières jugées « injustifiées et désordonnées ». Objectif : éviter que la hausse des taux d’intérêt d’un pays ne se transforme en spirale incontrôlable. Un scénario redouté depuis la crise des dettes souveraines de 2012, qui avait failli faire exploser l’euro.
Pour Giovanni Ricco, économiste à l’Université de Warwick, le TPI sert d’assurance invisible : “Les marchés savent que la BCE peut agir seule et rapidement. Cette seule possibilité suffit souvent à calmer les investisseurs.”
De fait, l’effet dissuasif fonctionne. Depuis sa création, le TPI n’a jamais été déclenché. Il agit comme une arme psychologique, un signal adressé aux marchés que la BCE ne laissera pas un État sombrer.
Mais cet outil ne s’emploie pas sans conditions. Pour être éligible, un pays doit présenter des “politiques budgétaires saines” et respecter le cadre de discipline budgétaire européen. Une manière de rassurer les pays du Nord, notamment l’Allemagne, soucieuse d’éviter toute mutualisation implicite des dettes nationales.
La France, bien que sous surveillance, reste pour l’heure dans les clous. En juin, la Commission européenne a suspendu la procédure de déficit excessif à son encontre, signe que Paris suit – au moins pour le moment – la trajectoire exigée par Bruxelles.
Toutefois, certains économistes alertent sur la fragilité du contexte. Pour Sara Dietz (Université de Munich) et Kerstin Bernoth (Institut DIW de Berlin), “ce ne sont pas seulement les finances publiques françaises qui inquiètent, mais aussi l’environnement économique global : faible croissance, instabilité politique, et incertitude budgétaire”.
Et si la situation venait à se dégrader brutalement ? Selon Paul de Grauwe, professeur à la London School of Economics, “la BCE trouverait toujours un narratif pour justifier une intervention. Elle ne peut pas se permettre qu’un pays comme la France soit déconnecté du reste du système”. En clair, même si la France ne respectait plus totalement les critères, Francfort pourrait invoquer la “préservation de la transmission monétaire” pour intervenir.
Pour l’instant, le risque demeure contenu. Les écarts de taux avec l’Allemagne restent raisonnables et loin des niveaux d’alerte connus par l’Italie ou la Grèce. Mais plusieurs signaux de tension apparaissent : suspension de la réforme des retraites, difficultés politiques autour du budget 2026, et menace d’une nouvelle dégradation de la note souveraine par Moody’s.
Autant d’éléments qui pourraient, à terme, tester les limites du TPI.
Le dispositif reste donc une arme de dissuasion plus qu’un outil d’intervention. Mais, comme souvent en économie, il suffit d’une étincelle pour que la théorie devienne pratique.
Sources :
L’Express – Dette : le TPI, l’arme méconnue de la BCE qui protège la France (15 octobre 2025) – https://www.lexpress.fr