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Photo : Compte X d'Etienne Grenelle.

Liberté d’expression : l’édito d’Étienne Gernelle qui étrille la vision d’Emmanuel Macron

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Dans un éditorial au vitriol, Étienne Gernelle accuse le contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Emmanuel Macron d’ignorer les fondements de la liberté de la presse en promouvant la « labellisation » des médias. Un texte dense qui revient sur les dérives possibles d’un système où l’État ou des instances para-publiques participeraient à définir ce qui serait une « bonne information ».

Dans un texte aussi tranchant que documenté, Étienne Gernelle, directeur de la rédaction du Point, revient sur une idée ancienne du président de la République : instaurer une forme de « labellisation » des médias, présentée comme un cadre de confiance capable de distinguer l’information fiable du reste. Une idée, selon l’éditorialiste, qui révèle une incompréhension profonde des principes fondateurs de la liberté d’expression et du rôle de la presse.

L’affaire n’est pas nouvelle. Dès 2019, Emmanuel Macron défendait déjà l’idée d’un « bien public » qu’incarnerait l’information, laissant entendre qu’un financement par l’État – via des structures dédiées, garanties par des journalistes – ferait partie des solutions. Le glissement sémantique relevé par Gernelle est éclairant : l’information, traditionnellement produite par des acteurs indépendants, deviendrait une sorte de service régalien auquel les médias privés n’auraient accès que par délégation. Pour l’éditorialiste, cette manière de penser la presse marque un tournant inquiétant.

Le président avait d’ailleurs déjà tenté d’institutionnaliser une « déontologie » centralisée, en commandant en 2019 une mission à Emmanuel Hoog pour créer une instance officielle. Si cette idée avait avorté face à l’opposition des rédactions, elle avait tout de même donné naissance au Conseil de déontologie journalistique et de médiation, structure largement boudée par les médias. Gernelle ironise sur ses avis « entachés de fausses informations », symbole, selon lui, de l’impossibilité même de créer une autorité morale en matière de vérité journalistique.

Car c’est bien le cœur de l’argumentaire : dans un système démocratique, personne ne peut prétendre détenir la vérité journalistique, ni l’État, ni une instance privée, ni un groupe d’experts. Le directeur du Point rappelle la célèbre interrogation de Juvénal : « Qui gardera les gardiens ? » Toute tentative de labellisation attire, selon lui, les profils les plus militants, ceux qui souhaitent orienter l’espace public plutôt que le protéger.

Étienne Gernelle évoque également le Journalism Trust Initiative (JTI), certification soutenue par Reporters sans frontières. Si des centaines de médias, en France comme à l’international, ont adhéré volontairement à ce dispositif de type ISO, il estime que le problème survient lorsque le pouvoir politique commence à encourager, voire à légitimer publiquement ces démarches. À ses yeux, le parrainage par l’exécutif altère le sens même de ce label et crée un précédent dangereux.

Pour illustrer les limites de toute labellisation, Gernelle convoque un épisode historique : la publication du « J’accuse… ! » d’Émile Zola en 1898. À l’époque, la presse et l’opinion étaient massivement antidreyfusardes. Un comité de pairs aurait très probablement condamné le texte. Selon les critères actuels de déontologie – absence de preuve, ton partial, charge violente – Zola aurait perdu son « label ». Pourtant, son intervention fut décisive pour rétablir la vérité. La démonstration est claire : le consensus journalistique n’est pas un garant de justesse.

L’éditorial prend ensuite une dimension plus philosophique. Le problème posé par la désinformation est réel, accentué par les réseaux sociaux et l’IA générative. Mais la réponse, selon Gernelle, ne peut pas passer par une autorité protectrice centralisée. Il rappelle que la loi de 1881 prévoit déjà la répression des fausses informations – à condition qu’elles soient divulguées de mauvaise foi et troublent la paix publique. Si la justice manque de moyens, dit-il, c’est elle qu’il faut renforcer, pas contourner.

Il interroge également l’incohérence d’un discours qui vise les médias traditionnels alors que les grandes plateformes numériques, largement responsables de la viralité des fausses nouvelles, demeurent en position de quasi-monopole. Un angle mort dans la réflexion politique actuelle sur la qualité de l’information.

Enfin, Gernelle conclut sur un rappel fondamental : rien ne remplacera jamais l’esprit critique. Développer cet esprit à l’école, dans les médias, dans la société, est un travail long et exigeant, incompatible avec l’idée d’une norme ISO de la vérité. Il cite Clemenceau, qui avertissait déjà en 1903 contre la tentation de revenir sur les conquêtes de la liberté au prétexte qu’elle serait dangereuse.

Son édito se lit comme un avertissement : dans la volonté de « réguler » la vérité, on risque de saper le pilier même de la démocratie. Pour Gernelle, Emmanuel Macron joue un rôle d’apprenti sorcier en cherchant à réinventer les cadres de la presse. Et la liberté d’expression, bien que complexe et imparfaite, demeure la moins mauvaise des garanties.

Sources :

Le Point – Édito d’Étienne Gernelle – lien

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