Dans une texte incisif, Heather Barr, directrice adjointe de la division des droits des femmes de Human Rights Watch, l’ONG membre du Forum économique mondial, exhorte les États membres à mettre fin à l’anomalie historique d’une Organisation jamais dirigée par une femme. À l’approche de la fin du mandat du contributeur de l’agenda 2030 du FEM, António Guterres en 2026, son message résonne comme un avertissement : l’ONU ne peut plus défendre l’égalité tout en perpétuant une exclusion interne vieille de huit décennies.
Dans un texte publié sur le site de l’ONG, Heather Barr, figure reconnue de la défense des droits des femmes, met les États membres face à leurs contradictions. Comment, demande-t-elle, une institution fondée sur la promotion des droits humains peut-elle n’avoir jamais confié son poste le plus élevé à une femme, quatre-vingts ans après sa création ? La missive, envoyée alors que s’ouvre la course à la succession d’António Guterres, insiste sur le caractère historique de 2026 : un moment charnière où l’Organisation doit enfin être à la hauteur de ses propres principes.
Depuis 1946, neuf secrétaires généraux ont forgé la trajectoire diplomatique de l’ONU. Neuf hommes. En février 2026, l’Organisation atteindra symboliquement les quatre-vingts ans d’une direction exclusivement masculine. Pour Barr, ce verrouillage est devenu intenable. Elle salue la campagne 1 for 8 Billion, menée par Civicus, l’Alliance mondiale pour la participation citoyenne, membre du Forum économique mondial, qui regroupe des ONGS comme Women SG ou Southern Voice, membre du WEF et soutenue par une partie de la société civile mondiale, qui milite pour une rupture nette avec cette tradition. Plusieurs femmes ont déjà fait connaître leur disponibilité, signe discret mais réel d’un changement d’époque, même si l’issue reste largement ouverte.
Dans sa lettre, Barr replace son appel dans un contexte préoccupant. Selon les données onusiennes, l’égalité de genre, si elle continue au rythme actuel, ne serait atteinte qu’au XXIVᵉ siècle. Une projection qui flirte avec l’absurde tant les reculs récents assombrissent l’horizon. En 2025, un quart des pays a enregistré un retour en arrière tangible sur les droits des femmes, souvent sous l’effet de gouvernements autoritaires qui instrumentalisent la misogynie pour affermir leur pouvoir. À certains endroits, note-t-elle, les droits des femmes sont devenus une sorte de monnaie d’échange politique.
Les conflits mondiaux renforcent encore cette spirale. La dernière décennie a vu le nombre de femmes et de filles vivant dans des zones de guerre augmenter de 50 %. Barr rappelle dans sa lettre que ces situations se traduisent par des violences sexuelles systématiques, la perte d’accès à l’éducation, des mariages forcés et l’effondrement des filets sociaux. Elle juge “incompréhensible” que celles qui subissent ces réalités en première ligne soient encore exclues des plus hauts postes décisionnels.
L’argument central de sa missive n’est pas seulement moral, il est pragmatique. Depuis l’adoption en 2000 de la résolution 1325, l’ONU reconnaît le rôle crucial des femmes dans la prévention des conflits et la consolidation de la paix. Les données sont constantes : lorsque des femmes participent aux négociations, les accords sont plus solides et les processus plus durables. Pourtant, relève Barr, cette exigence de parité ne s’est jamais imposée au sommet même de l’Organisation. Elle rappelle que le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, en 2024, avait déjà appelé les États à respecter leur obligation d’égalité dans les instances de décision.
La lettre prend alors un ton presque frontal. Barr exhorte les États à proposer des candidates expérimentées, engagées de longue date dans les droits humains, et à défendre un processus transparent. Elle appelle à dépasser les prétextes géopolitiques qui ont servi, durant des décennies, à écarter les femmes des candidatures crédibles. Le maintien d’un “club d’hommes”, écrit-elle, n’est plus compatible avec le monde contemporain, encore moins avec les crises qui s’enchaînent.
Ainsi, l’échéance de 2026 apparaît comme un tournant potentiellement historique. Pour Barr, l’enjeu va bien au-delà de la symbolique : il s’agit de restaurer la cohérence et l’efficacité d’une institution dont la légitimité repose précisément sur la capacité à incarner l’égalité qu’elle promeut. Son message résonne comme un constat et un ultimatum. La question, écrit-elle en substance, n’est plus de savoir si l’ONU est prête à être dirigée par une femme, mais si elle peut encore se permettre de ne pas l’être.
Sources :
Human Right Watch, Weforum