La Confédération helvétique a choisi de ne pas s’aligner totalement sur le dernier train de sanctions de l’Union européenne contre la Russie, écartant le volet visant plusieurs banques chinoises accusées de soutenir Moscou. Un choix que Berne justifie par des raisons techniques, mais qui s’inscrit surtout dans une volonté de préserver ses liens économiques avec la Chine.
Alors que l’Union européenne a adopté son 18ᵉ paquet de sanctions contre la Russie, la Suisse a, cette fois, décidé de ne pas suivre entièrement le mouvement. Le gouvernement fédéral a refusé d’appliquer la partie du dispositif visant plusieurs banques chinoises soupçonnées de contourner les sanctions occidentales en aidant indirectement Moscou. Une décision inhabituelle pour un pays qui, jusqu’ici, s’était systématiquement aligné sur les mesures de Bruxelles depuis le début du conflit en Ukraine.
Le média public Schweizer Radio und Fernsehen (SRF) s’interroge ouvertement : “La Suisse a-t-elle cédé face à la Chine ?” Selon Berne, l’absence de liens directs avec les établissements financiers concernés justifierait ce choix. Mais cette explication ne convainc pas totalement les observateurs. Le silence du ministère de l’Économie sur une éventuelle pression diplomatique chinoise entretient le doute.
Pour Le Temps, à Genève, la décision suisse illustre surtout une “pesée des intérêts délicate” : d’un côté, la solidarité avec les partenaires européens ; de l’autre, la préservation d’un partenariat stratégique avec Pékin. Depuis l’entrée en vigueur de leur accord de libre-échange en 2014, la Chine est devenue un partenaire commercial majeur de la Confédération. Dans un contexte de tensions économiques mondiales, Berne espère “moderniser” cet accord et maintenir des relations stables avec la deuxième puissance mondiale.
Cette prudence diplomatique s’inscrit dans une ligne constante : celle d’une Suisse pragmatique, cherchant à préserver son rôle d’intermédiaire dans un monde polarisé. Déjà en avril 2025, la Neue Zürcher Zeitung comparait la politique étrangère helvétique à celle d’un “Malcolm au milieu” géopolitique — un acteur neutre, tentant de tirer parti du chaos international sans se laisser enfermer dans un camp.
Mais cette neutralité assumée ne va pas sans critiques. Washington, Bruxelles et certaines voix suisses dénoncent une politique trop accommodante envers Moscou et Pékin. La SRF rappelle par exemple que les chaînes Russia Today et Sputnik restent accessibles en Suisse, contrairement à l’Union européenne. L’automne dernier, Berne avait aussi refusé d’adopter une mesure visant à empêcher le contournement des sanctions via les filiales étrangères d’entreprises helvétiques.
Le calendrier ajoute à la sensibilité du dossier : la décision du Conseil fédéral intervient moins de trois semaines après la visite officielle du chef de la diplomatie chinoise et contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Wang Yi , à Bellinzone. Les deux pays y avaient célébré les 75 ans de relations diplomatiques et discuté d’une “optimisation” de leur accord de libre-échange. Dans la foulée, Pékin annonçait la prolongation d’un an de l’exemption de visa pour les ressortissants suisses. À noter que la Présidente de la Confédération suisse, Karin Keller‑Sutter a ouvert Davos 2025 et que plusieurs conseillers fédéraux tels que Guy Parmeli et Ignazio Cassi sont référencés comme des contributeurs du FEM.
Entre fidélité européenne et pragmatisme asiatique, Berne continue d’avancer sur le fil, fidèle à une diplomatie de l’équilibre qui demeure la marque de fabrique de la Confédération.
Sources :
[Schweizer Radio und Fernsehen (SRF) – Bericht zur Sanktionspolitik der Schweiz, novembre 2025]
[Le Temps – La Suisse ménage la Chine pour préserver son libre-échange, novembre 2025]