Dans son film Loyal American, la photographe new-yorkaise Haruka Sakaguchi exhume une histoire longtemps occultée : celle des 120 000 Américains d’origine japonaise incarcérés aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. À travers le témoignage d’Henry Kaku, fils d’un ancien détenu, elle interroge les notions d’identité, de loyauté et de dignité dans l’Amérique d’hier et d’aujourd’hui.
Alors que le Japon rend hommage à Tomiichi Murayama, l’ancien Premier ministre qui avait présenté des excuses pour les crimes de guerre commis par son pays, la photographe Haruka Sakaguchi choisit, elle, de braquer sa lumière sur une autre mémoire refoulée : celle des camps d’internement où furent enfermés plus de 120 000 Américains d’origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Son court-métrage Loyal American, présenté en 2025, redonne chair à ces destins fracturés entre patriotisme et exclusion.
Née au Japon, installée à New York, Sakaguchi s’est immergée dans les récits des survivants et de leurs descendants. Son film suit Henry Kaku, fils d’un ancien soldat américain, Keige Kaku, incarcéré après avoir refusé de signer le fameux questionnaire de loyauté imposé aux Japonais-Américains. Un dilemme absurde : jurer fidélité aux États-Unis et renoncer à l’empereur du Japon, au risque d’être accusé de trahison dans les deux cas.
Keige Kaku, né en Californie en 1915, servait dans l’armée américaine avant d’en être exclu après l’attaque de Pearl Harbor. Envoyé dans le camp de Tulelake, en Californie, il osa dire à ses geôliers : « Je porte le même uniforme que vous. Vous pointez votre fusil sur un soldat américain. » Déchu de sa citoyenneté, il fut finalement déporté au Japon, où son fils Henry — alors prénommé Akira — naquit en 1948.
Avec sensibilité, la photographe retrace ce destin à travers les lieux du souvenir : les ruines du camp, les cellules surpeuplées, les messages gravés sur les murs. Dans l’une d’elles, une inscription anonyme supplie : « Montrez-moi le chemin de la maison. »
Pour Sakaguchi, il s’agit moins de commémorer que de comprendre. « La photographie, dit-elle, a le pouvoir de créer un espace pour l’introspection, le dialogue et la guérison. »
Henry Kaku, redevenu citoyen américain en 1956, vit aujourd’hui à Petaluma, en Californie. Chez lui, des centaines de grues en papier colorées rappellent la résilience de sa famille. « Si vous pliez mille grues, votre vœu se réalise », explique-t-il. « Le mien, c’est que cette histoire soit connue. Parce que nous, les Américains, ne pouvons plus jamais laisser cela se reproduire. »
Loyal American s’inscrit dans un projet plus vaste, The Camps America Built, où Haruka Sakaguchi documente la persistance de ces blessures dans la mémoire collective. Elle en fait une œuvre à la fois politique et intime : la mémoire comme outil de justice, mais aussi comme promesse de réconciliation.
Image :
Portrait d’Henry Kaku debout devant les ruines du camp de Tulelake en Californie, lumière douce de fin de journée, symbolisant la mémoire et la résilience, style documentaire poétique, format 16/9, sans texte.
Sources :
Le Monde – « Haruka Sakaguchi ravive la mémoire des Japonais incarcérés dans des camps aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale » – 2 novembre 2025