À Brumath, près de Strasbourg, l’usine que Huawei vient d’achever après un investissement de 300 millions d’euros pourrait ne jamais entrer en service. Le groupe chinois, affaibli par les restrictions européennes et des soupçons de corruption, envisage désormais de revendre ce site, symbole d’un recul stratégique en Europe.
Sous le ciel gris d’automne alsacien, l’usine de Huawei à Brumath se dresse comme un mirage industriel. Huit hectares, 52 000 mètres carrés de bâtiments ultramodernes, des lignes de production prêtes à fabriquer des antennes 3G, 4G et 5G dès 2026. Et pourtant, selon plusieurs sources concordantes, le géant chinois des télécoms pourrait renoncer à l’exploiter.
Livré en septembre 2025 par Bouygues Construction, ce complexe devait être la première usine de production Huawei jamais construite hors de Chine. Un investissement colossal de près de 300 millions d’euros, destiné à approvisionner le marché européen depuis le cœur du continent. Mais aujourd’hui, l’entreprise se dit en « questionnement » sur l’avenir du site, selon des informations confirmées par Le Monde.
Une seconde source évoque même la possibilité d’une revente pure et simple : Huawei envisagerait de missionner une agence immobilière pour trouver un repreneur. Les Dernières Nouvelles d’Alsace mentionnent déjà l’intérêt d’un grand groupe américain du numérique ainsi que d’acteurs régionaux. Interrogée, la direction de Huawei France n’a pas souhaité répondre.
Pour la région Grand-Est, le coup est rude. L’agglomération de Haguenau, qui avait vendu le terrain pour trois millions d’euros, espérait jusqu’à 500 emplois. Mais « le projet a pris du retard », confirme un porte-parole régional, précisant que la subvention publique de 800 000 euros est gelée. Fin 2024, seuls vingt salariés travaillaient encore sur le site, selon les comptes de Huawei Machine Strasbourg, la filiale locale du groupe.
Le projet alsacien symbolisait les ambitions européennes de Huawei, mais il se heurte aujourd’hui à une série d’obstacles politiques et économiques. Depuis la loi française de 2019 sur la sécurité des réseaux mobiles, les opérateurs SFR et Bouygues Telecom ont été contraints de démonter des milliers d’antennes chinoises. Cette décision a divisé par deux le chiffre d’affaires de Huawei en France, tombé à environ 695 millions d’euros en 2024.
Outre-Rhin, l’Allemagne a suivi le mouvement : à l’été 2024, Berlin a décidé d’exclure Huawei et ZTE des « cœurs de réseaux » 5G d’ici 2026, invoquant la protection du « système nerveux de l’économie allemande », selon la ministre de l’intérieur Nancy Faeser. Ces restrictions coupent progressivement le groupe chinois de ses principaux marchés européens, au moment même où les promesses économiques de la 5G peinent à se concrétiser.
À ce contexte défavorable s’ajoute une affaire de corruption qui fragilise davantage Huawei sur le plan politique. Huit personnes ont été mises en examen pour corruption active et participation à une organisation criminelle dans le cadre de soupçons visant des députés européens. En France, l’ancienne vice-présidente de la région Grand-Est, Lilla Merabet, est visée par une enquête pour « atteinte à la probité ».
Sources :
- Le Monde – « Huawei réfléchit à abandonner son projet d’usine en Alsace, alors que sa construction vient de s’achever » – lemonde.fr
– 31 octobre 2025
- Dernières Nouvelles d’Alsace – « Huawei doute de son usine alsacienne » – dna.fr
– 31 octobre 2025
- France Inter – entretien avec Minggang Zhang, décembre 2023
- Ministère de l’Intérieur d’Allemagne – déclaration de Nancy Faeser, juillet 2024