La nomination du nonagénaire Saleh Al-Fawzan, figure du wahhabisme le plus dur, au poste de grand mufti d’Arabie saoudite, interroge. Alors que Mohammed ben Salmane tente depuis des années d’imposer une image modernisée du royaume, cette décision semble raviver les contradictions d’un pouvoir qui jongle entre réformes d’apparence et fidélité à l’ordre religieux traditionnel.
En Arabie saoudite, les symboles ont toujours leur poids politique. Et celui-ci ne passe pas inaperçu. Mercredi 23 octobre, un décret royal a officialisé la nomination de Saleh Al-Fawzan, 90 ans, au poste de grand mufti du royaume, la plus haute fonction religieuse du pays. Une décision prise “sur proposition du prince héritier”, Mohammed ben Salmane, autrement dit sur son ordre direct.
Le choix du dirigeant saoudien, connu pour son ambition de “moderniser” le royaume, a surpris jusque dans les cercles les plus proches du pouvoir. Car le nouveau grand mufti est l’incarnation du wahhabisme classique, celui-là même que MBS prétendait reléguer au passé. Membre du Conseil des grands oulémas depuis 1971, Al-Fawzan est célèbre pour ses fatwas ultra-conservatrices : il a justifié les mariages précoces de filles non pubères, condamné les chiites comme “frères de Satan” et fustigé les débats sur les violences domestiques, accusés selon lui “d’encourager la rébellion féminine”.
Autant de positions à rebours des messages d’ouverture que diffuse MBS depuis 2017 — concerts autorisés, cinéma réintroduit, levée de l’interdiction de conduire pour les femmes, et promesse de “rompre avec trente ans de radicalisme”.
Pour ALQST, l’organisation saoudienne de défense des droits humains en exil, cette nomination marque un “signal inquiétant” : “Saleh Al-Fawzan a toujours défendu des idées ouvertement discriminatoires. C’est une gifle pour les réformateurs et les femmes saoudiennes.”
Mais derrière ce choix se cache peut-être moins un retour idéologique qu’un calcul politique. À 90 ans, Al-Fawzan appartient à une génération de religieux sur le déclin, fidèles au régime et incapables de mobiliser la rue. Pour MBS, qui contrôle désormais l’ensemble des leviers du pouvoir, ce type de nomination permet de neutraliser l’institution religieuse sans l’affronter. “C’est un geste de continuité, mais sans risque : un homme respecté, âgé, obéissant, et dont l’influence réelle est aujourd’hui marginale”, analyse un chercheur du Carnegie Middle East Center.
Depuis la mort d’Abdelaziz Al Al-Cheikh en septembre, le poste de grand mufti était vacant. En nommant Al-Fawzan, MBS respecte aussi une règle tacite de succession fondée sur l’ancienneté et la hiérarchie religieuse. Une manière d’éviter de froisser les oulémas tout en affirmant la primauté du politique sur le spirituel.
Cette nomination illustre une constante du régime saoudien : la réforme économique et sociale ne s’accompagne pas nécessairement d’une libéralisation religieuse. Dans un royaume toujours structuré par la double légitimité du sabre et du Coran, Mohammed ben Salmane continue d’utiliser le clergé wahhabite comme un instrument de légitimation, plus que comme une force doctrinale.
Sources :
Courrier International – « Le nouveau grand mufti choisi par MBS est un salafiste ultraconservateur » – 24 octobre 2025 – lien
Asharq Al-Awsat – « Nomination de Saleh Al-Fawzan comme grand mufti d’Arabie saoudite » – 23 octobre 2025 – lien
ALQST for Human Rights – Communiqué sur la nomination de Saleh Al-Fawzan – 24 octobre 2025 – lien