Face au vieillissement accéléré de la population et à la pression sur les finances publiques, la Commission européenne veut conditionner une partie du futur budget de l’UE à des réformes des systèmes de retraite. Une mesure explosive politiquement, alors que les contestations sociales se multiplient en Europe.
Bruxelles prépare une réforme qui pourrait rebattre les cartes du financement européen. Selon plusieurs sources citées par Politico, la Commission européenne envisage de lier le versement des fonds européens à la mise en œuvre de réformes des retraites dans les États membres. L’idée, encore à l’étude, serait d’intégrer ces critères dans le prochain budget pluriannuel de l’Union, estimé à 2 000 milliards d’euros pour la période post-2028.
L’objectif affiché est de protéger la soutenabilité des finances publiques face à un triple défi démographique — vieillissement accéléré, chute de la natalité et endettement massif. “Notre mission est d’aider les pays à accomplir les réformes difficiles”, a déclaré dans les colonnes de Politico un haut fonctionnaire européen sous couvert d’anonymat. Le dispositif passerait par les recommandations spécifiques par pays (RSP), un outil de coordination budgétaire déjà utilisé dans le cadre du semestre européen.
Un “carrot and stick” européen version retraites
Si les États ignoraient ces recommandations, leurs allocations budgétaires européennes pourraient être partiellement suspendues. Une approche qui rappelle le mécanisme du plan de relance post-Covid de 800 milliards d’euros, où le versement des tranches dépendait du respect d’objectifs précis — dont, déjà, des réformes des retraites en Espagne.
Cette stratégie de la “carotte et du bâton” a séduit la Commission, qui y voit un moyen d’obtenir des réformes structurelles là où les appels à la discipline budgétaire sont restés lettre morte.
Mais cette logique inquiète fortement plusieurs capitales européennes. “On ne peut pas acheter une réforme des retraites”, a averti un vice-ministre des Finances cité par Politico. Les retraites restent un domaine hautement sensible, au cœur de l’identité sociale et politique de chaque pays.
Une bombe politique en puissance
Les responsables européens savent que toucher aux retraites, c’est prendre le risque d’allumer la mèche. Les réformes de ce type ont déjà provoqué des mouvements sociaux massifs en Europe, notamment en France, où la loi portant l’âge légal à 64 ans a déclenché des mois de manifestations, ou encore en Belgique, où les syndicats ont récemment protesté contre la hausse de l’âge de départ à 67 ans d’ici 2030.
Pour autant, Bruxelles estime qu’il y a urgence. Plus de 80 % des retraités européens dépendent exclusivement de leur pension publique pour vivre, selon les données de la Commission. Résultat : près d’un cinquième des plus de 65 ans, soit environ 18,5 millions de personnes, vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté.
Des limites juridiques, mais une pression croissante
La politique des retraites relève toujours de la compétence nationale. La Commission n’a donc pas le pouvoir d’imposer un âge légal de départ ou un niveau de pension. En revanche, elle peut encourager la création de systèmes complémentaires, en incitant les États et les entreprises à développer l’épargne-retraite ou des plans d’entreprise à l’américaine.
Pour les partisans du projet, cette orientation vise à renforcer le marché européen des capitaux, en orientant l’épargne longue vers l’investissement productif. Mais pour ses détracteurs, c’est une ingérence politique qui menace la souveraineté sociale des États membres.
La proposition pourrait être intégrée au prochain cadre budgétaire 2028-2034, actuellement en préparation à Bruxelles. Rien n’est encore tranché, mais la discussion promet d’être houleuse : si la réforme venait à être adoptée, elle marquerait un tournant dans la gouvernance économique de l’Union, faisant des retraites un levier budgétaire européen à part entière.
Sources :
Politico Europe – EU considers withholding funds from countries that don’t fix pension systems (17 octobre 2025) – lien