La mort d’un jeune étudiant turc à Osmaniye a ravivé la colère d’une génération déjà éprouvée par la précarité et la répression. Dans tout le pays, les manifestations se multiplient pour dénoncer des conditions de vie jugées indignes dans les résidences universitaires publiques, révélant un malaise social profond au sein de la jeunesse turque.

En Turquie, les campus se transforment à nouveau en foyers de contestation. Moins d’un mois après la mort de Kasim Bulgan, étudiant infirmier de 22 ans, le pays assiste à une vague de protestations qui s’étend bien au-delà du simple fait divers. Le jeune homme est décédé le 27 septembre d’une crise cardiaque après avoir été contraint de se doucher à l’eau glacée dans son pensionnat public à Osmaniye, dans le sud du pays. Ce drame, rapporté par le quotidien Cumhuriyet, a mis en lumière la dégradation des conditions de vie dans ces établissements d’accueil où résident des milliers d’étudiants issus de milieux modestes.

Les témoignages recueillis décrivent un quotidien fait de pannes récurrentes, de manque d’hygiène et de négligence généralisée. À Osmaniye, les étudiants dénonçaient depuis des mois l’absence d’eau chaude, la vétusté des installations et les coupures d’accès à Internet. La mort de Kasim Bulgan a été la goutte d’eau. Les rassemblements spontanés qui ont suivi ont rapidement gagné d’autres villes universitaires, malgré les interdictions préfectorales. Selon le journal Birgün, douze étudiants ont été arrêtés à Osmaniye pour avoir scandé des slogans jugés hostiles au pouvoir en place.

Le mouvement s’est ensuite étendu à l’ouest du pays. À Edirne, des étudiants privés d’eau courante depuis plus d’un mois ont ironisé face aux forces de l’ordre : “Envoyez les canons à eau que l’on prenne une douche.” Une phrase devenue symbole d’un désespoir mêlé de dérision, face à un système qui semble les avoir oubliés.

Les problèmes ne se limitent pas à l’inconfort. Ces dernières années, plusieurs drames ont émaillé la vie des pensionnats publics : chutes mortelles dans des ascenseurs défectueux, incendies, intoxications alimentaires. Le 6 octobre, le média local de Siirt a rapporté que 120 étudiantes avaient été hospitalisées après un repas contaminé. Quatre jours plus tard, à Urfa, trente étudiants ont été transportés d’urgence à l’hôpital, victimes de vomissements et de nausées après le petit-déjeuner, selon l’agence DHA.

Ces incidents révèlent une crise structurelle. Dans les colonnes du quotidien Sözcü, un éditorialiste dénonce un pouvoir “qui ne trouve pas de budget pour les pensionnats publics mais finance les confréries religieuses privées”, de plus en plus présentes dans le secteur éducatif. Ces structures, souvent proches du gouvernement islamo-conservateur, offrent logement et encadrement idéologique à de jeunes étudiants précarisés.

Un étudiant du quartier populaire de Bagcilar, à Istanbul, raconte au journal Evrensel avoir été logé “à six dans une chambre prévue pour quatre”, avant d’ajouter : “Des membres de confréries proches du pouvoir sont venus recruter de nouveaux fidèles en promettant une chambre gratuite et proche de l’université.” Des propos qui illustrent la porosité croissante entre le manque de moyens publics et la mainmise idéologique du religieux sur la jeunesse turque.

Ces mobilisations, bien que limitées par la répression policière, marquent le retour d’une colère étudiante longtemps étouffée depuis l’arrestation du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, en mars dernier. Pour beaucoup, la mort de Kasim Bulgan symbolise désormais l’échec d’un système éducatif à garantir à ses étudiants dignité, sécurité et liberté.

Sources :
Courrier international – Les étudiants turcs dans la rue pour dénoncer leurs conditions de vie – 13 octobre 2025
Cumhuriyet – Rapport sur la mort de Kasim Bulgan – septembre 2025
Birgün – Manifestations étudiantes à Osmaniye – octobre 2025
Sözcü – Éditorial sur les financements publics et confréries – 10 octobre 2025
Evrensel – Témoignages d’étudiants d’Istanbul – octobre 2025
DHA / Siirt Local News – Cas d’intoxication alimentaire dans les pensionnats publics – 6-10 octobre 2025