Sous couvert de préserver la tranquillité publique, la ministre britannique de l’Intérieur, Shabana Mahmood, souhaite durcir la législation encadrant les manifestations répétées, notamment celles en soutien à la Palestine. Une annonce qui provoque une vive controverse au Royaume-Uni, où plusieurs journaux dénoncent une dérive liberticide.
« Ce n’est pas parce que vous disposez d’une liberté qu’il faut l’exercer chaque minute, chaque jour. » En prononçant cette phrase sur la BBC, dimanche 5 octobre, Shabana Mahmood, nouvelle ministre travailliste de l’Intérieur, a résumé la nouvelle orientation du gouvernement britannique en matière de libertés publiques. Choquée, selon ses mots, par les manifestations pro-palestiniennes organisées le soir même de l’attentat antisémite de Manchester, le 2 octobre, la ministre entend désormais restreindre les défilés récurrents qu’elle juge “source de tension et de trouble”.
Son projet : conférer à la police de nouveaux pouvoirs lui permettant d’interdire ou de déplacer des rassemblements jugés trop fréquents, en prenant en compte « l’effet cumulatif » de manifestations similaires dans un même lieu. “Les autorités pourront dérouter ou tout simplement interdire les événements si elles considèrent qu’ils troublent la tranquillité publique”, précise The Guardian. Pour The Daily Telegraph, cette législation viserait directement les marches pro-palestiniennes qui se tiennent presque chaque week-end depuis les attaques du Hamas du 7 octobre 2023 et le début de la guerre à Gaza.
“Ces changements répondent à l’anxiété bien réelle ressentie par de nombreux Britanniques juifs face à l’antisémitisme qui infecte certains mouvements anti-Israël”, défend le gouvernement. Mais pour la presse progressiste, la mesure passe à côté du problème. “Plutôt que d’améliorer la sécurité des communautés juives ou d’examiner les défaillances des programmes de déradicalisation, l’exécutif s’en prend aux manifestants pro-palestiniens”, raille The Guardian. The Times estime, lui aussi, que “restreindre le périmètre d’une manifestation n’empêchera pas les participants de penser ou de dire des choses considérées comme racistes ou antisémites”.
Mardi 7 octobre, le Premier ministre Keir Starmer a soutenu la position de sa ministre. Dans une tribune publiée dans la presse londonienne, il a condamné les manifestations étudiantes de soutien à Gaza, jugées “contraires aux valeurs britanniques” pour avoir eu lieu le jour de l’anniversaire du massacre du 7 octobre.
Pourtant, rappelle The Times, la police britannique dispose déjà d’un arsenal juridique étendu. Depuis la réforme votée par les conservateurs en 2022, elle peut restreindre ou interdire des rassemblements au nom de l’ordre public. L’ancienne ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, avait même tenté d’élargir la notion de “perturbation grave” à de simples “perturbations plus que minimes”, une formulation jugée trop floue et rejetée par la justice.
Alors, pourquoi ajouter une nouvelle couche législative ? Pour de nombreux observateurs, cette initiative traduit une tentation autoritaire du nouveau gouvernement. “Donner plus de pouvoir à la police est risqué”, écrit la chroniqueuse Sonia Sodha. “Ces prérogatives pourraient être utilisées pour interdire des manifestations légitimes, ou pour politiser la police, soumise aux désirs du gouvernement en place.”
L’ironie n’échappe pas à The Guardian, qui rappelle que Shabana Mahmood elle-même, lorsqu’elle était députée d’opposition, avait participé à des manifestations pro-palestiniennes et à des actions contre la vente de produits cultivés dans les territoires occupés. “Les mesures qu’elle propose aujourd’hui pourraient mener à son arrestation d’hier”, note le quotidien, pointant la contradiction d’un pouvoir qui semble redéfinir les limites de la liberté d’expression selon le contexte politique.
Alors que le Royaume-Uni s’enorgueillit d’une longue tradition de liberté d’expression et de contestation pacifique, ce projet de loi marque un tournant. S’il venait à être adopté, il pourrait remodeler durablement le droit de manifester outre-Manche, au nom d’un équilibre toujours fragile entre sécurité publique et liberté fondamentale.
Sources :
The Guardian – “UK government plans law to curb regular protests” – 7 octobre 2025 – https://www.theguardian.com
The Daily Telegraph – “Police to gain powers to ban repeated protests” – 7 octobre 2025 – https://www.telegraph.co.uk
The Times – “The new protest laws risk undermining Britain’s freedoms” – 7 octobre 2025 – https://www.thetimes.co.uk