Dans une tribune publiée par The Guardian le 28 septembre 2025, Tim Berners-Lee, créateur du World Wide Web, dénonce la confiscation de son invention par les géants du numérique. Il fustige un système où les utilisateurs sont réduits à des produits et plaide pour une reconquête de la maîtrise des données grâce à son projet Solid.
C’est un cri d’alarme venu de l’homme qui a changé le monde en reliant ses réseaux. Tim Berners-Lee, inventeur du World Wide Web en 1989 alors qu’il travaillait au CERN, livre dans The Guardian une réflexion sombre sur l’état actuel de sa création. Ce qui devait être un espace de liberté et de collaboration universelle s’est transformé, selon lui, en une arène dominée par une poignée de plateformes géantes, guidées par la collecte et la monétisation des données personnelles.
À l’origine, le Web reposait sur une idée simple : combiner l’Internet et l’hypertexte pour permettre à chacun de créer, partager et consulter de l’information sans entrave. Dès 1993, Berners-Lee avait convaincu ses responsables au CERN de libérer la technologie en la plaçant dans le domaine public, afin que le Web « appartienne à tout le monde ». Mais ce rêve d’un espace numérique universel a, dit-il, « pris le mauvais chemin » quelque part entre l’émergence des premiers sites et l’âge des réseaux sociaux.
Aujourd’hui, déplore-t-il, les internautes ne sont plus considérés comme des clients mais comme « le produit ». Les données personnelles, même anonymisées, sont collectées, revendues, échangées et exploitées pour cibler publicités et contenus, parfois toxiques. Ces mécanismes alimentent non seulement la désinformation et la polarisation sociale, mais fragilisent aussi le bien-être psychologique, notamment des plus jeunes, piégés par des algorithmes « conçus pour être addictifs ».
Refusant la résignation, Berners-Lee met en avant une solution qu’il a développée au MIT il y a une décennie : Solid. Ce standard open-source repose sur la création de « pods » de données personnelles, dont chaque individu garde le contrôle total. Les applications et services doivent y accéder uniquement avec l’autorisation explicite de l’utilisateur, renversant ainsi la logique actuelle des plateformes centralisées. « Vous générez toutes ces données, elles vous appartiennent. Vous devez en être responsabilisé », insiste-t-il.
L’informaticien projette par ailleurs ce constat vers l’avenir, alors que l’intelligence artificielle s’impose dans tous les secteurs. Craignant que les mêmes dynamiques de monopole et d’opacité se reproduisent, il appelle à une gouvernance internationale et transparente de l’IA. Il propose la création d’un organisme de recherche non lucratif, sur le modèle du CERN, afin de garantir que cette technologie serve l’intérêt général plutôt que la domination économique de quelques acteurs.
Trente-cinq ans après la naissance du Web, Tim Berners-Lee veut croire qu’une réorientation est possible. « Nous pouvons redonner du pouvoir aux individus et reconquérir le Web. Il n’est pas trop tard », conclut-il dans sa tribune, mêlant lucidité et appel à l’action collective.
Sources : The Guardian – lien – septembre 2025