Le ministère de l’Intérieur a diffusé cet été un « schéma national des violences urbaines » destiné aux forces de l’ordre. Le document, qui prévoit l’intervention du Raid et ne reconnaît pas de statut particulier aux journalistes lors d’émeutes, suscite déjà une vive controverse.
Un document de 18 pages, diffusé en catimini le 31 juillet par le ministère de l’Intérieur, encadre désormais la réponse policière face aux émeutes. Ce « schéma national des violences urbaines », révélé par Libération, marque un tournant sécuritaire dans la doctrine d’emploi des forces de l’ordre. À l’approche des mobilisations prévues le 10 septembre via les réseaux sociaux et le 18 septembre par l’intersyndicale, il concentre déjà critiques et inquiétudes.
La principale nouveauté tient au rôle accordé au Raid, unité d’élite de la police nationale traditionnellement mobilisée contre le grand banditisme ou le terrorisme. Selon le texte, cette force pourra être déployée « en cas de situation très dégradée », caractérisée par la durée et l’intensité des violences, ainsi que par la gravité des infractions commises. Mortiers d’artifice visant policiers ou pompiers, armes improvisées ou agressions ciblées pourraient ainsi justifier l’intervention.
Sur le terrain, le Raid aura pour mission d’interpeller des individus en pleine émeute et de rétablir l’ordre par la reprise de zones tenues par des émeutiers armés. Les policiers seront organisés en « petits groupes agiles », dotés de véhicules blindés, voire parachutés ou acheminés par voie maritime si nécessaire. Autre point sensible : la possibilité d’utiliser des fusils de calibre 12, armes plus puissantes que les lanceurs de balles de défense (LBD). Ces mêmes fusils avaient déjà alimenté de vives polémiques en 2023, lors des révoltes qui avaient suivi la mort de Nahel à Nanterre, causant de nombreuses blessures graves.
L’autre sujet de crispation concerne la presse. Le document stipule en effet que « la prise en compte du statut des journalistes ne trouve pas à s’appliquer dans un contexte de violences urbaines ». Une disposition interprétée par le Syndicat national des Journalistes (SNJ) comme une « insulte » à la profession et une menace pour la liberté d’informer. Le syndicat redoute que les reporters ne soient empêchés de documenter d’éventuelles dérives policières et envisage un recours en urgence devant le Conseil d’État, suivi d’un dossier au fond d’ici fin septembre.
Face à la polémique, la police nationale a tenu à rassurer : la doctrine sera « modifiée » afin de clarifier la place des journalistes. Les autorités expliquent que les violences urbaines, « de haute intensité et sans préavis », rendent difficile une organisation comparable à celle du maintien de l’ordre lors de manifestations. « Il ne s’agit pas de restreindre la présence des journalistes », insiste la direction de la police.
Ce n’est pas la première fois que la doctrine d’emploi des forces de l’ordre est contestée devant le juge administratif. En juin 2021, le Conseil d’État avait déjà annulé certaines dispositions d’une précédente version du schéma national du maintien de l’ordre, notamment l’obligation faite aux journalistes de s’éloigner en cas d’ordre de dispersion. Reste à savoir si la nouvelle version résistera cette fois à l’épreuve du droit.
Sources :
Libération – 5 septembre 2025 – lien
Communiqué de la police nationale – 4 septembre 2025 – lien