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Jésuites vs Illuminés de Bavière : Une bataille secrète pour le contrôle des élites et de la franc-maçonnerie ?

À la fin de l’Ancien Régime, la Compagnie de Jésus incarne aux yeux de nombreux penseurs des Lumières un danger pour les monarchies éclairées. Accusée d’avoir inspiré des régicides comme celui d’Henri IV ou la tentative d’assassinat contre le roi du Portugal en 1758, elle est jugée incompatible avec les lois du royaume de France. En 1764, elle est expulsée, et en 1773, le pape Clément XIV prononce sa suppression. Mais pour ses adversaires, cette disparition n’est qu’une illusion. Les ex-jésuites, estiment-ils, avancent désormais masqués, notamment au sein des loges maçonniques. Une thèse qui pourrait cacher une expansion plus importante, celle des Illuminés de Bavière au sein des loges françaises et mondiales.

Dès leur fondation au XVIe siècle par Ignace de Loyola, les jésuites se sont imposés comme une force majeure dans le domaine de l’éducation, avec pour objectif de former une élite intellectuelle, morale et religieuse au service de l’Église catholique. Rapidement, l’enseignement devient leur activité principale, notamment à travers la création de collèges ouverts à des élèves laïcs, issus des familles aristocratiques et bourgeoises, désireuses d’offrir à leurs fils une formation d’excellence, sans pour autant les destiner à la prêtrise.

Le Collège romain, fondé en 1551, devient un modèle d’établissement de prestige, rayonnant à travers l’Europe et jusqu’en Asie ou en Amérique latine. Grâce à leur méthode pédagogique codifiée dans le Ratio Studiorum, les jésuites développent un enseignement rigoureux, structuré, mêlant humanités classiques, sciences et théologie. À la fin du siècle, ils dirigent plus de 650 collèges et 24 universités à travers le monde.

Leur influence éducative dépasse les murs de l’Église. De nombreux dirigeants, intellectuels et écrivains européens, tel Voltaire, ont été formés dans leurs institutions, qu’ils louent pour leur exigence et la qualité de leurs maîtres. L’ordre jésuite a ainsi joué un rôle central dans la formation des élites religieuses, politiques et culturelles pendant plusieurs siècles.

La suppression de la Compagnie de Jésus en 1773

Au XVIIe siècle, les jésuites deviennent la cible de nombreuses critiques. En 1614, un ex-jésuite polonais publie Monita Secreta, un livre prétendant révéler les instructions secrètes de la Compagnie de Jésus pour accroître son pouvoir et ses richesses. Ce texte alimentera durablement la méfiance envers les jésuites, notamment dans les milieux libéraux des XVIIIe et XIXe siècles, contribuant à forger leur légende noire.

Au XVIIIe siècle, leur influence suscite des tensions croissantes. La Querelle des rites en Chine, des oppositions avec les jansénistes, gallicans et philosophes des Lumières, et un scandale financier en Martinique (affaire Lavalette) nourrissent leur discrédit.

Sous pression des cours européennes, les jésuites sont successivement expulsés du Portugal (1759), de France (1763-64), d’Espagne (1767) et d’autres États. En 1773, le pape Clément XIV supprime officiellement la Compagnie de Jésus par le bref Dominus ac Redemptor. L’ordre est dissous malgré ses 23 000 membres, ses 700 collèges et 300 missions dans le monde. Seuls la Russie et la Prusse refusent de promulguer la bulle pontificale.

Une infiltration jésuite dans les loges maçonniques ?

En 1788, à Londres, Nicolas de Bonneville publie Les Jésuites chassés de la maçonnerie…. Cet ouvrage, à mi-chemin entre dénonciation et satire, prétend démontrer l’infiltration jésuite dans les loges maçonniques. L’auteur y analyse une gravure énigmatique liée à l’ordre maçonnique Heredom de Kilwinning, fondé en 1783. Il y voit les signes d’un plan secret orchestré par les jésuites pour restaurer leur pouvoir sous couvert d’un nouvel ordre templier.

Bonneville analyse en détail une iconographie symbolique attribuée aux jésuites, où chaque élément nourrit une lecture soupçonneuse de leur influence. Le soleil couronné serait l’emblème du pouvoir secret de la Compagnie, dont le “G” central évoquerait le “Général” jésuite plutôt que la géométrie maçonnique. La tour crénelée, la colonne brisée marquée “S.R.I.” (Société Royale des Jésuites), et les lettres “B.I.” (Beatus Ignatius) accentuent cette représentation de l’ordre comme société secrète. À cela s’ajoute une croix à sept branches, substitut suspect à l’étoile maçonnique, et deux aigles orientés vers l’Est, qui symboliseraient selon Bonneville, l’exil des jésuites en Russie sous Catherine II, perçus comme fomentant leur retour depuis Mohilev.

Illuminati contre Jésuites : la bataille souterraine des sociétés secrètes

Dans cette guerre symbolique, les Illuminati, héritiers des Lumières radicales, jouent un rôle clé. Interdits en Bavière dès les années 1780, ces membres d’une société secrète fondée par Adam Weishaupt, s’organisent en miroir de la compagnie de Jesus… pour mieux les combattre. Bonneville, proche de leurs idées, s’en fait le relais en France.

Adam Weishaupt, fondateur des Illuminés de Bavière inspiré par les jésuites

Adam Weishaupt (1748–1830), issu d’une famille juive convertie élevé par les jésuites deviendra par la suite professeur de droit à l’université d’Ingolstadt en Bavière avant de fondé la société secrète des Illuminés. Bien que farouchement anticlérical, il a été profondément influencé par la rigueur intellectuelle et la structure disciplinaire des jésuites, qui dominaient encore l’université où il enseignait.

Bien qu’il ait ensuite rejeté les Jésuites, il admirait leur organisation hiérarchique, leur réseau international, et leur capacité à former les esprits. Il voyait dans leur méthode un modèle d’efficacité, qu’il souhaitait adapter à des fins laïques et rationalistes.

Dans sa conception des Illuminés de Bavière, Weishaupt reprend plusieurs éléments directement inspirés de la Compagnie de Jésus : une structure pyramidale, avec des degrés d’initiation secrets ; une discipline stricte et l’obéissance à un « supérieur inconnu », qui rappelle le rôle du Supérieur général des jésuites ; un objectif de réforme morale et intellectuelle de la société, par l’éducation des élites.

Weishaupt admirait les méthodes des jésuites tout en rejetant leurs objectifs spirituels. Il rêvait de former une nouvelle élite éclairée, affranchie de la religion, mais capable d’exercer un pouvoir discret et structuré sur la société, exactement ce qu’il reprochait aux jésuites eux-mêmes.

Un noyautage des loges maçonniques par les Illuminés ?

Si Adam Weishaupt s’est largement inspiré de la discipline jésuite pour structurer l’ordre des Illuminés de Bavière, il a aussi puisé dans l’univers de la franc-maçonnerie, notamment grâce à sa rencontre avec Adolph Franz Friedrich Knigge, un ancien franc-maçon influent initié la loge du Lion couronné de Cassel, appartenant à la Stricte observance templière.

Knigge rejoint les Illuminés en 1780. Il apporte alors à l’organisation de Weishaupt toute la symbolique maçonnique, les rites ésotériques et les méthodes de recrutement propres à la maçonnerie du XVIIIe siècle. Il joua un rôle déterminant dans l’expansion de l’ordre qui ne comptait qu’une poignée de membres, en l’ouvrant à d’autres loges et en le structurant selon une hiérarchie plus sophistiquée.

Mais cette croissance alerte les autorités bavaroises. Soupçonnés de conspirer contre la monarchie et l’Église, les Illuminés qui voulaient renverser les princes et inspirer un nouvel ordre mondial sont interdits par un décret du gouvernement en 1785, et leurs activités officiellement dissoutes.

Les accusations jésuites à l’encontre des Illuminés

Après la Révolution française, les rôles s’inversent. Les ex-jésuites accusent à leur tour les Illuminés d’avoir fomenté les événements de 1789 via les loges maçonniques. L’abbé Barruel, ancien jésuite, publie alors ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme (1798-1799), dans lequel affirme qu’une coalition secrète mêlant TempliersRosicruciensIlluminés et Jacobins serait à l’origine de la Révolution. Ses thèses connurent un grand grand retentissement et furent reprises par l’Écossais John Robison dans son livre Proofs of a Conspiracy.

Selon plusieurs sources de la littérature antisémite et royaliste, le convent de Wilhelmsbad en 1782, aurait permis aux Illuminés de Bavière, avec l’aide de la maçonnerie lyonnaise, d’aboutir au Rite Ecossais Rectifié abandonnant les origines Templières de la franc-maçonnerie, mais aurait également scellé le sort de Louis XVI et du roi de Suède Charles III, assassiné en 1792 dans des circonstances suspectes.

Après l’interdiction des Illuminés de Bavière, Johann Joachim Christophe Bode, devenu chef de l’ordre, s’est rendu en France en 1787, où il a rencontré des membres de la société secrète des Philadelphes. Dans son journal de voyage, il relate que certains individus projetaient de former un noyau secret semblable aux Illuminés allemands.

Des auteurs comme de Luchet dénoncent leur rôle dans le contrôle de la franc-maçonnerie, qui aurait infiltré les 282 loges françaises recensées en 1787. Plusieurs révolutionnaires influents (Robespierre, Danton, Lafayette…) étaient membres de loges parisiennes.

Une influence durable jusqu’aux symboles révolutionnaires

Cette rivalité entre jésuites et Illuminati n’a pas seulement alimenté les pamphlets du XVIIIe siècle. Elle a laissé une empreinte dans l’imaginaire politique occidental. Au XIXe et au XXe siècle, certains commentateurs verront dans les symboles révolutionnaires ou américains des traces de cette guerre secrète : œil omniscient, pyramide inachevée, rayons solaires, etc.

Au carrefour de l’histoire, de la politique et de la symbolique, cette confrontation montre à quel point les luttes d’influence entre Lumières, Église et sociétés secrètes ont façonné notre modernité. De nombreuses personnalités politiques contemporaines passées par les programmes Young leaders du Forum économique mondial ont d’ailleurs été formées par des établissements jésuites.

Les personnalités politiques actuelles formées par les jésuites

En France, des figures telles que Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, ont bénéficié de cette éducation. Emmanuel Macron a effectué une partie de sa scolarité au lycée La Providence à Amiens, un établissement privé catholique fondé par la Compagnie de Jésus. Aux États-Unis, l’université jésuite de Georgetown compte parmi ses anciens élèves l’ex-président Bill Clinton, tandis que l’université de Yale, membre du FEM abrite la Skull and Bones, une fraternité étudiante s’inspirant des sociétés secrètes allemandes par laquelle sont passés George W Bush et John Kerry. Par ailleurs, le Pape François lui-même est membre de la Compagnie de Jésus, ce qui en fait le premier pape issu de cet ordre religieux. ​

Ces exemples illustrent l’influence durable de la formation jésuite dans divers domaines, notamment en politique et dans les hautes sphères religieuses. La persistance des Illuminés est quant à elle plus difficile à évaluer, même si l’importance de la laïcité pour la maçonnerie française n’est pas sans rappeler les idées anticléricales d’Adam Weishaupt.

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