Bertand Badie, professeur à Sciences Po Paris et contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial a accordé une interview au journal Le Monde publiée ce samedi, dans laquelle il revient sur les mobilisations étudiantes qui ont eu lieu dans son université, mais aussi d’autres endroits en France et dans le monde. Il prône un dialogue avec cette « jeunesse mondialisée », plus sensible qu’avant aux causes globales, afin d’éviter tout embrasement ou récupération par des « acteur(s) politique(s) » ou des « entrepreneurs de la violence ».
Lors de cet entretien, Bertrand Badie évoque les changements fondamentaux dans la nature des conflits internationaux, mettant en lumière la montée de conflits entre États et acteurs non étatiques, tels que les organisations palestiniennes, « qui dérivent vers des formes terroristes ». Il souligne la difficulté des États à s’adapter à ces nouvelles formes de conflits, et comment cela se traduit par des dynamiques sociales telles que la mobilisation étudiante observée à Sciences Po.
L’universitaire note que ces conflits sont « marqués du sceau d’une domination et d’une humiliation subies, tels qu’on les a connus avec la décolonisation », mais que la « jeunesse mondialisé », « sensible à la souffrance », s’identifie plus qu’avant aux « causes qui animent les conflits ensanglantant la planète ». Cette volonté de la jeunesse de « s’identifier à des causes internationales, même éloignées » ne doit pas être sous-estimé, selon lui. Pour Badié, les revendications des étudiants à Sciences Po et à travers le monde, « exprime cette appropriation sociale des questions internationales », qui a « une capacité certaine de peser sur l’évolution même des politiques étrangères des Etats, comme on l’a vu aux Etats-Unis à propos du Vietnam et comme on l’observe encore aujourd’hui face aux embarras de Biden… » Selon lui, ses revendications relèvent cependant « davantage dans un phénomène d’identification que d’allégeance », même si ensuite s’ajoutent « des paramètres plus personnels propres à chacun ».
D’après Badié, il convient de constater cet état de fait avant de juger cet engament comme le fait d’« extrémistes ou radicaux ». L’universitaire qui a participé à un débat avec les étudiants le 30 avril, mets d’ailleurs en garde contre la répression comme réponse à ces manifestations, soulignant qu’elle pourrait renforcer les mouvements contestataires au lieu de les affaiblir, comme cela a été le cas lors de la guerre d’Algérie. Il signale que cette répression pourrait être une « aubaine », pour les « acteur(s) politique(s) », les « entrepreneurs de violence ». L’universitaire note que les relations internationales marquées par le « cynisme » et « l’indifférence », « à l’égard de la question palestinienne, qui a été placée sous la table depuis près de vingt-cinq ans » pourraient également être de nature à radicaliser un tel mouvement.
L’universitaire qui est d’origine iranienne, note aussi qu’il n’a jamais entendu les étudiants parler de « Khamenei ».
Interrogé sur les revendications des étudiants qui réclament qu’un groupe de travail fasse le point sur les partenariats économiques et académiques de Sciences Po en Israël, Badie estime qu’il s’agit d’un débat légitime dans un contexte où l’action militaire d’Israël soulève des préoccupations au niveau international, soulignant que « Les mêmes demandes viennent des campus américains ».
Il estime aussi qu’après avoir nettement condamné les « actes terroristes du Hamas du 7 octobre », il serait raisonnable que la direction de Science Po’, puisse prendre une « position de même nature », « alors qu’on compte plus de 35 000 morts à Gaza ». Enfin, Badie constate que « Dans les sociétés du Sud, l’inégalité de traitement est ressentie douloureusement et peut avoir pour conséquence d’élever le niveau d’amertume, pouvant conduire jusqu’à la rage. »