La frappe israélienne menée mardi 9 septembre contre une réunion de responsables du Hamas à Doha, au Qatar, a pris de court l’administration américaine. Contrainte de réagir dans l’urgence, la Maison Blanche a dénoncé un « incident regrettable », mais sans condamner explicitement la décision du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou. Un exercice d’équilibrisme diplomatique qui illustre les contradictions des États-Unis dans une région où se superposent alliances stratégiques, médiations fragiles et calculs politiques.
Devant la presse, la porte-parole Karoline Leavitt a reconnu que Washington avait été informé de l’opération seulement quelques heures avant son déclenchement. Si elle a souligné que « bombarder le Qatar, allié proche et nation souveraine, ne sert ni les intérêts américains ni israéliens », elle a également insisté sur la légitimité de l’objectif d’« éliminer le Hamas ». Cette ambiguïté reflète la difficulté pour les États-Unis de soutenir leur allié israélien tout en préservant leur relation avec le Qatar, partenaire essentiel dans les négociations d’otages et hôte de la plus grande base militaire américaine de la région, Al-Udeid.
Donald Trump, fidèle à son style, a tenté de se défausser en rappelant que la frappe relevait uniquement de la décision de Nétanyahou. Pourtant, deux jours avant l’attaque, le président américain avait menacé le Hamas de « conséquences » s’il refusait une proposition de cessez-le-feu portée par son émissaire Steve Witkoff. Cette séquence alimente les spéculations : Israël a-t-il perçu les déclarations de Trump comme un feu vert implicite ?
Selon Daniel Shapiro, ancien ambassadeur des États-Unis en Israël, la manœuvre rappelle l’assassinat du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, en septembre 2024. Mais le contexte diffère radicalement : « Le Qatar n’est pas le Liban, c’est un allié américain abritant une base stratégique et chargé des négociations sur les otages. » L’expert estime probable que Doha exige désormais des garanties de Washington pour éviter une nouvelle opération similaire.
La frappe soulève également des interrogations sur la capacité des États-Unis à contenir Israël et à protéger leurs partenaires du Golfe. Dans une analyse du Center for Strategic and International Studies, Mona Yacoubian et Will Todman estiment que cette attaque « pourrait éroder la confiance des pays de la région dans la volonté américaine d’assurer leur sécurité » et compromettre les efforts de normalisation entre Israël et d’autres États arabes.
Le Qatar se retrouve dans une posture délicate. Longtemps médiateur incontournable dans les discussions israélo-palestiniennes, l’émirat a vu sa neutralité remise en cause par cette attaque sur son sol. Washington, soucieux de préserver une relation stratégique essentielle, a rapidement promis de renforcer sa coopération militaire avec Doha. Trump a d’ailleurs assuré l’émir Tamim Ben Hamad Al Thani que « cela ne se reproduirait pas », tout en chargeant son secrétaire d’État, Marco Rubio, de finaliser un nouvel accord de défense.
Mais l’épisode révèle aussi les liens troubles entre la présidence Trump et l’émirat gazier. En mai dernier, une visite du président américain au Qatar avait déjà suscité polémique, autour d’un avion présidentiel offert par Doha pour sa future bibliothèque. Plus récemment, Eric Trump, fils du président, a participé au lancement d’un projet touristique de 3 milliards de dollars dans l’émirat, brouillant davantage la frontière entre diplomatie d’État et intérêts privés.
Ainsi, entre fidélité à Israël, nécessité de préserver l’alliance avec le Qatar et impératifs politiques internes, Washington s’efforce de maintenir un équilibre de plus en plus fragile. Une équation d’autant plus complexe que les réactions dans le monde arabe témoignent d’une indignation croissante face à l’impunité israélienne et au double langage américain.