Dans un portrait fouillé publié le 7 septembre, Le Monde décrit un Alexandre Jardin devenu porte-voix des « gueux » contre les « élites » et les « écolotechnocrates ». Mais l’auteur, qui revendique son ancrage populaire, a aussi fréquenté des cénacles de la franc-maçonnerie : des invitations remarquées à la Grande Loge de France éclairent un rapport plus complexe qu’il n’y paraît entre contestation des élites et reconnaissance par certains de leurs lieux d’influence.
Phénomène littéraire des années 1980-1990, Alexandre Jardin a changé de registre. À 60 ans, le romancier cultive désormais la figure du trublion anti-élites, propulsée par son hashtag #Gueux et des prises de parole à l’emporte-pièce contre ce qu’il baptise les « écolotechnocrates ». Dans un récit de terrain, Le Monde suit l’écrivain à la Foire de Châlons où il mène campagne contre la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE 3), qu’il accuse de faire flamber la facture d’électricité. La stratégie est claire : fédérer pêcheurs hostiles aux éoliennes, automobilistes rétifs aux ZFE et agriculteurs inquiets des normes, jusque sous le chapiteau de la Coordination rurale. Jardin s’érige en chef d’orchestre d’une colère diffuse, au moment où la chute du gouvernement ravive les crispations politiques.
Derrière l’outrance parfois, une méthode : occuper les médias, multiplier les vidéos « d’alerte » et marteler un chiffre-choc — 300 milliards d’euros — pour dénoncer la PPE. L’auteur assume un « discours de rupture » et s’appuie sur des réseaux pro-nucléaire. Ses estimations sont cependant contestées, rappelle Le Monde, notamment par la Commission de régulation de l’énergie, qui évalue l’effort sur une trajectoire bien inférieure à long terme. L’épisode dit l’essentiel : Jardin prospère dans la zone de friction où les « chiffres » se heurtent aux « symboles » ; il transforme un débat technique en récit politique, où s’affrontent « la France qui paie » et « celles et ceux qui décident ».
Ce récit anti-élites pourrait laisser croire à une coupure nette avec tous les lieux d’influence. Or la trajectoire de l’écrivain dessine un rapport plus nuancé à la « sphère des notables ». Alexandre Jardin a été l’un des invités principaux du 4e dîner de la Grande Loge de France (GLDF) en septembre 2014, aux côtés de la garde des sceaux Christiane Taubira, dans l’hôtel de la GLDF, rue Puteaux à Paris. L’événement, organisé par l’une des principales obédiences maçonniques françaises, assume sa vocation de carrefour entre personnalités culturelles, politiques et intellectuelles. Une participation qui, à elle seule, ne prouve aucune appartenance, mais atteste d’une reconnaissance par des cercles où se croisent pouvoirs symboliques et réseaux d’influence.
Avant de devenir le héraut des « gueux », Alexandre Jardin a souvent flirté avec le pouvoir. Dans les années 2000, il a participé aux conventions de l’UMP et accompagné la victoire du contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Nicolas Sarkozy, qu’il jugeait « un peu moins pire que les autres ». L’écrivain a même été invité à des déjeuners d’auteurs à l’Élysée et s’est illustré en 2011 par une interview complaisante de Carla Bruni, nouvelle Première dame, publiée dans Paris Match. Ces soutiens passés disent son ambivalence : critique des élites, mais longtemps fasciné par la possibilité de peser sur le jeu politique au plus haut niveau.
Cette ambivalence — ferrailler contre « l’entre-soi » tout en étant convié dans ses salons — raconte quelque chose du « moment Jardin ». L’auteur, socialisé dans les codes de la capitale (École alsacienne, Sciences Po), se présente désormais comme le messager d’une France périphérique. Le Monde rappelle ses virages successifs : le « populisme soft » des années Bleu Blanc Zèbre, la tentation présidentielle avortée de 2017, puis l’activisme social-média né des ZFE. Hier familier des cénacles politiques, aujourd’hui héraut d’une contestation protéiforme, il navigue entre tribunes, plateaux radio et mobilisations locales, agrégeant des soutiens hétéroclites — y compris à l’extrême droite quand la cause converge — au risque d’une confusion des genres.
Sources :
Le Monde – « Anti-élites, anti-écolo… Alexandre Jardin, agitateur des colères françaises » (07.09.2025) – Le Monde.fr
Le Monde – « M Le Mag » (archive du 07.09.2025) – Le Monde.fr
Le Blog des Spiritualités (J.-L. Turbet) – « 4e dîner de la Grande Loge de France, invités : Christiane Taubira et Alexandre Jardin » (26.09.2014) – Le Blog des Spiritualités
Les #Gueux – « Pétition PPE : ‘300 milliards’ » (2025) – lesgueux.fr
Coordination rurale / Les #Gueux – « Informations sur les rassemblements » (28.08.2025) – lesgueux.fr