La Marche pour l’Égalité et contre le Racisme fête ses 40 ans 

La Marche pour l’Égalité et contre le Racisme qui s’est déroulée du 15 octobre 1983 au 3 décembre 1983 a marqué un moment historique en France, puisqu’il  s’agissait de la première manifestation nationale d’une telle ampleur contre le racisme et pour l’égalité. Alors que se profilent les 40 ans de cet évènement, le MAN (Mouvement pour une Alternative Non-Violente), qui était l’une des associations porteuses de cette marche a organisé un colloque le samedi 30 septembre au Musée Gadagne. Étaient présents de nombreux marcheurs et acteurs qui ont participé à la transmission de cette manifestation historique. 

La genèse de cette marche est ancrée dans les évènements qui se sont produits à l’été 1983, marqué par des affrontements violents entre la police et les jeunes habitants du quartier des Minguettes à Vénissieux. Lors de ces affrontements, Toumi Djaïdja, président de l’association SOS Avenir Minguettes, a été gravement blessé par un policier. Les troubles ont été largement médiatisés, avec des incendies de voitures, des dégradations urbaines et des affrontements entre les jeunes et la police.

L’année 1983 avait été par le meurtre de cinq Maghrébins, pour motifs racistes, selon le ministère de l’Intérieur. Ces évènements tragiques, y compris la mort de Toufik Ouanes, âgé de moins de dix ans, ont profondément choqué la communauté maghrébine en France à l’époque.

Le père Christian Delorme et le pasteur Jean Costil, de la Cimade, une organisation de défense des droits de l’homme, ont proposé aux jeunes des Minguettes de s’inspirer des moyens d’action de Martin Luther King et de Gandhi pour organiser une marche pacifique. Il faut dire que le père Delorme est un grand spécialiste du pasteur américain et c’est son admiration pour King qui l’a poussé à entrer dans les ordres. Il a même entretenu une correspondance épistolaire avec Martin Luther King, comme il l’a confié samedi lors du colloque du MAN. 

La marche a eu lieu dans un contexte politique particulier marqué par les élections municipales partielles à Dreux, où le Front national (FN) a remporté son premier succès électoral significatif avec 16,72 % des voix au premier tour. Le FN a ensuite fusionné avec la liste RPR au second tour, remportant l’élection.

De plus, le gouvernement socialiste dirigé par Pierre Mauroy avait stigmatisé les grévistes de l’usine Renault-Billancourt, principalement des travailleurs immigrés, en les accusant d’être manipulés par des « intégristes ».

La Marche pour l’Égalité a débuté le 15 octobre 1983, partant du quartier de la Cayolle à Marseille, qui avait récemment été le théâtre du meurtre raciste d’un enfant de treize ans. Elle a débuté avec 17 personnes, dont 9 étaient originaires du quartier des Minguettes. Ces revendications principales étaient la délivrance de cartes de séjour de dix ans et le droit de vote pour les étrangers en France, mais ces participants voulaient aussi dénoncer le racisme en général, les crimes racistes impunis et les brutalités policières envers les Maghrébins en France. Au fur et à mesure de sa progression, le cortège s’est étoffé, et le mouvement a gagné en popularité grâce à la couverture médiatique. 

La marche a culminé le 3 décembre à Paris, où plus de 100 000 personnes ont participé à un défilé historique. Cette mobilisation a incité le président François Mitterrand à promettre des réformes importantes, notamment une carte de séjour de dix ans, une loi contre les crimes racistes et un projet sur le vote des étrangers aux élections locales.

La marche a attiré des participants de profils divers, des jeunes peu politisés issus de quartiers défavorisés aux militants déjà politisés, de jeunes hommes et une dizaine de jeunes filles, comme nous l’a confirmé samedi Malika Boumedienne, qui a participé à cette manifestation. 

À l’époque, Libération avait qualifié la marche de « marche des Beurs, » un terme qui ne convient pas à la plupart des marcheurs à l’origine de cet évènement qui revendiquaient justement leur citoyenneté pleine et entière. 

Samedi, de nombreuses conférences ont été organisées par le MAN, retraçant l’histoire de cette manifestation en présence des marcheurs, mais également de nombreux acteurs s’interrogeant sur la transmission de cet évènement historique, qui a marqué un tournant dans la lutte contre le racisme en France. 

Lors d’une conférence intitulée « Comment des lieux institutionnels participent à la conservation, la restitution et la transmission, de l’Histoire et de la mémoire », une délégation du Musée national de l’histoire de l’Immigration de la Porte Dorée à Paris a notamment lancé un appel à la récupération d’archives concernant cet évènement afin d’enrichir sa collection permanente. 

L’ancien marcheur, Djamel Attala, est revenu sur quarante ans de « transmission », lors d’une conférence. Il lui tient à coeur de susciter auprès des jeunes générations, l’« envie de vouloir devenir militants, d’être de véritables citoyens et de s’engager pour changer les choses, alors qu’on entend des discours de fractures qui ont pignon sur rue ». 

Même son de cloche du côté de Farid L’Haoua qui a lui aussi participé à la Marche et publié un livre intitulé « 1983, La Marche Inside… pour l’égalité des droits et contre le racisme », dans lequel on retrouve de nombreuses photos d’archives. Selon lui, il faut « faire en sorte que cette aventure humaine s’inscrive dans l’Histoire et puisse être montrée en exemple pour les générations à venir, sachant que la situation d’aujourd’hui, en France et en Europe, nous annonce des jours très sombres : réchauffement climatique, monté des extrêmes droites, un racisme outrancier qui a pignon sur rue dans certains médias. »

Lors d’une conférence sur « La force de la non-violence », Erwan Ruty, ancien rédacteur en chef de Presse & Cité, un réseau de médias composé d’une quinzaine de médias qui « produisait son contenu à partir des quartiers » a lui aussi pointé du doigt le rôle joué par les médias dans la dégradation du climat social.« Le problème des médias, c’est qu’ils ont du mal à parler de ce qui se passe dans ces quartiers-là, car ils n’y sont pas. Leurs rédactions sont issues d’écoles, qui ne recrutent pas dans ces quartiers, où ils imposent une ligne éditoriale qui empêche aux gens de raconter des choses complexes sur ces quartiers », nous a-t-il confié.

Margaux Eskenazi, metteuse en scène du spectacle « 1983 » a raconté comment son spectacle a été victime de censure après la mort du jeune Nahel. Cette censure culturelle a également été vécue par Azdine Benyoucef, directeur artistique et chorégraphe de la compagnie de danse Hip-Hop « Second Souffle ». En 2013, il avait été amené à réaliser un spectacle de Hip-hop sur la Marche pour l’égalité, un évènement qu’il ne connaissait pas à l’époque, comme il l’a indiqué, plaisantant sur le fait qu’il connaissait toutefois Djamel Attala qui était le voisin de sa tante dans son quartier. Selon M. Benyoucef, le Hip hop est un puissant vecteur pour intéressé les jeunes à cette partie de l’histoire. 

Enfin, à la fin du colloque, Lotfi Debbeche, délégué municipal à la vie associative de Villeurbanne et membre du comité de l’agglomération lyonnaise des quarante ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme a appelé l’État et les collectivités Lyonnaises à signer un appel à s’engager pour l’égalité et contre le racisme et les discriminations. 

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