Un armurier chargé d’une commande royale se trompe dans le calibre de ses canons de fusils. Le stock fait l’objet d’un retour à l’envoyeur et le fabricant transforme ses pièces en éléments de jeu d’adresse.
Pierre Mazet (http://www.pierre-mazet42.com/) auteur de nombreux Polars et passionné d’Histoire nous présente des stéphanois et des évènements pour www.top1fos.fr
La sarbacane a une sinistre réputation. Elle nous fait parfois penser aux terribles guerriers amazoniens projetant du curare sur leurs adversaires qui mouraient dans l’instant. A Saint-Etienne, on n’a jamais joué à ces jeux. Pourtant on y pratique depuis longtemps, un jeu de sarbacane, « le jeu de la souffle », connu dans aucune autre ville française. Né il y a près de trois siècles, elle compte encore une centaine de pratiquants qu’on nomme les baveux. Il trouverait son origine dans une erreur d’aiguillage.
Un armurier chargé d’une commande royale se trompe dans le calibre de ses canons de fusils. Le stock fait l’objet d’un retour à l’envoyeur et le fabricant transforme ses pièces en éléments de jeu d’adresse. Avec ces sarbacanes d’acier-des canons de 1,45 mètre de longueur pesant 2,5 kilos, on tirera désormais sur une cible de minuscules fléchettes lestées d’une cloche et garnies de plumes, qu’on appelle traits. Une liste complète, datée de 1898, année de la constitution de la première Fédération des Capitaines, ne compte pas moins de 49 sociétés pour l’ensemble de la région stéphanoise.
Organisées sur le mode de confréries, avec des grades calqués sur ceux des sociétés d’archers, elles s’appelaient alors « La Fraternité », « Les Francs Amis », « Les Amis Réunis », « Jeu des Barques », » Jeu du Champrond », » La Franche Loyauté », etc. L’appellation de « baveux » qu’on donne aux tireurs de sarbacane proviendrait du fait que lors du tir, le souffleur projette de la salive dans le canon.
Elle pourrait faire aussi allusion au vin d’honneur servi lors de la cérémonie d’admission, le verre du récipiendaire portant dans son rebord de petits trous faisant baver le nouveau « chevalier ». Les adhérents sont ainsi nommés. A leur tête se trouve un Capitaine, on dirait aujourd’hui un Président, secondé par un Capitaine en second. Il y a un Secrétaire, un Prévôt, chargé de la discipline et de faire payer les amendes.
La pratique prend peu à peu de l’ampleur et même les mineurs s’y adonnent pour expulser la poussière contenue dans leurs poumons. Toute la vie du Chevalier était marquée par son appartenance à la société ; baptême, mariage, anniversaires étaient souhaités. Lors du décès d’un sociétaire ou de sa femme, un drap mortuaire était fourni par la Fédération et on mettait un crêpe aux cibles pendant quarante jours. Après la guerre, plus de 500 tireurs se retrouvaient sur la place Carnot chaque semaine.
C’est l’âge d’or, avant le déclin, dans les années 50. Aujourd’hui les règlements se sont beaucoup assouplis. Tous ces rites n’ont plus cours.
Les concours sont ouverts aux femmes depuis le début des années 1970 et aux jeunes à partir de dix ans depuis 1989 seulement. Il n’est pas rare maintenant de voir dans les concours, des familles entières venir se mesurer dans une ambiance décontractée mais sérieuse. Le jeu de la souffle reste une tradition stéphanoise bien vivante. Il suffit, pour s’en convaincre de consulter le site du Comité Départemental des Jeux de Sarbacane de la Loire.