Le commissaire européen Thierry Breton et le patron de X Elon Musk ont récemment échangé des messages publics tendus concernant la modération de ce réseau social, en relation avec le conflit entre Israël et le Hamas. Le milliardaire américain hausse le ton et demande au Commissaire européen de « publier explicitement » ses « préoccupations », affirmant refuser des « offres en coulisses ».
La querelle publique a commencé après que Thierry Breton a sommé Elon Musk de se conformer aux règles établies par le Digital Services Act (DSA), un règlement européen régissant la modération des plates-formes de médias sociaux en Europe. Cette demande de M. Breton faisait suite à des allégations selon lesquelles des contenus trompeurs et violents avaient proliféré sur Twitter après le début de l’offensive du Hamas contre Israël le 7 octobre.
Les accusations portées à l’encontre de Twitter concernent le fait que la plateforme aurait laissé passer des vidéos violentes comme celle ou l’ont voit l’étudiante Shani Look a l’arrière d’un pick up, des appels à la haine, et des images truquées ou sorties de leur contexte. Par exemple, des vidéos tirées du jeu vidéo Arma 3 auraient été présentées comme des enregistrements de combats réels.
Malgré un entretien entre les équipes de Musk et de Breton le 11 octobre, la situation a pris un tournant fatidique lorsque le commissaire européen a envoyé un courrier formel à Elon Musk, l’enjoignant de se conformer au DSA, qui est entré en vigueur en Europe le 25 août dernier.
Thierry Breton a également publié des messages sur Bluesky et sur X faisant l’apologie de ce nouveau réseau social créé par le cofondateur de Twitter Kack Doresey, afin de concurrencer la plateforme d’Elon Musk. « Bonjour! Même si l’herbe n’est pas (toujours) plus verte de l’autre côté, le ciel est parfois… plus bleu. Restons en contact! », a par écrit le commissaire européen sur X, avant d’ajouter : « On sent qu’il y a moins de monde – mais c’est plus humain – sans tous ces robots (bots). »
Le député Renaissance Eric Bothorel a estimé sur X que « Si on ne veut pas que le DSA soit mort-né, il faut que la Commission européenne tire dès maintenant les conclusions, toutes les conclusions des manquements de certaines plateformes à modérer les contenus ce week-end et à respecter les obligations nées du règlement ». « It’s now or never. »
Il a ensuite interrogé le ministre français délégué au numérique et contributeur de l’agenda 2030 du Forum économique mondial, Jean-Noël Barrot, à l’Assemblée nationale sur « l’actualité dramatique récente et la défaillance de certaines plates-formes à modérer l’apologie du terrorisme ». M. Barrot a affirmé avoir« saisis la Commission européenne ». « Si Twitter choisit de relâcher sa modération en pleine crise et de laisser de nombreux contenus illicites accessibles en ligne, le DSA est clair. »
Le garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti a quant lui déclaré que « La démonstration de soutien à un groupe terroriste, l’apologie du terrorisme, c’est un délit, une infraction ». « Les auteurs de messages incitant à porter un jugement favorable sur le Hamas, le Jihad islamique, encourent 5 ans d’emprisonnement. »
Sur X, Bothorel résume les interventions de messieurs Barrot et Moretti :
Mais les accusations ne se sont pas limitées à la France, puisque le ministre allemand du Numérique Volker Wissing a lancé « un appel à Elon Musk et à tous les opérateurs pour qu’ils suppriment les comptes qui glorifient la terreur, appellent à la destruction d’Israël et à la violence contre les juifs ». «Arrêtez la diffusion de vidéos barbares et de fausses informations incendiaires. »
Par ailleurs, les services de Thierry Breton ont adressé un courrier à Meta, la société mère de Facebook et Instagram, pour rappeler ses responsabilités en matière de modération, tout en mentionnant davantage la couverture des élections en Europe que la situation en Israël et à Gaza. Une troisième lettre devrait également être envoyée à TikTok, mettant en évidence des vidéos « défis » dangereux pour les mineurs.
La réponse cinglante d’Elon Musk
De son côté Elon Musk a exigé des explications publiques de la part de Thierry Breton prédisant que « notre politique est que tout est open source et transparent, une approche que l’UE soutient, je le sais ». « Veuillez lister les violations auxquelles vous faites allusion sur 𝕏 , afin que le public puisse les voir ».
Ce à quoi Thierry Breton a répondu : « Vous êtes bien au courant des rapports de vos utilisateurs – et des autorités – sur les faux contenus et la glorification de la violence ». « À vous de démontrer que vous prêchez par l’exemple. Mon équipe reste à votre disposition pour garantir le respect du DSA, que l’UE continuera de faire respecter rigoureusement. »
Cela a fait de nouveau réagir Elon Musk qui a déclaré : « Nous prenons nos actions au grand jour ». « Pas d’offres en coulisses. Veuillez publier explicitement vos préoccupations sur cette plateforme. »
Le lendemain de l’attaque, Elon Musk demandait aux utilisateurs de X de « rester aussi proche que possible de la vérité, même pour les choses que vous n’aimez pas ». « Cette plateforme aspire à maximiser le signal/bruit du collectif humain. »
Dans un point d’étape publié mardi 10 octobre, le réseau social expliquait de son côté qu’ « un groupe de direction interentreprises a évalué ce moment comme une crise nécessitant le plus haut niveau de réponse ». « Cela signifie que nous sommes concentrés et déterminés à protéger la conversation sur X et à faire respecter nos règles tout en continuant à évaluer la situation sur la plateforme. » Il assumait également la publication de certains posts considérés comme « d’intérêt public », un des piliers essentiels du droit de la presse, tout en rappelant que « Les utilisateurs de X peuvent également contrôler les médias qu’ils voient » ; que ses équipes ont « pris des mesures », « sur les entités violentes et haineuses pour supprimer les comptes affiliés au Hamas nouvellement créé » et « pour essayer d’empêcher la diffusion de contenus terroristes en ligne ». « Nos équipes d’escalade ont traité des dizaines de milliers de publications pour partage de médias graphiques, de discours violents et de conduite haineuse. Nous continuons également de surveiller de manière proactive les discours antisémites dans le cadre de tous nos efforts. De plus, nous avons pris des mesures pour supprimer plusieurs centaines de comptes tentant de manipuler des sujets d’actualité.»
Cette explication détaillée ne suggérait qu’un seul commentaire au rédacteur en chef adjoint de BFM Business Raphael Grably : « Leur volonté de ne pas modérer les contenus est désormais assumée…»
En plein scandale des Twitter Files, Elon Musk avait annoncé l’extension au monde entier de Community Notes, (ex-Briddwatch) permettant une approche collaborative de la modération qui est était limitée aux États unis. Les modérateurs ont la possibilité d’accoler des notes visibles sur les publications polémiques.
Dans son point d’étape X affirmait que « Les notes de la communauté sont désormais diffusées sur les publications et de nouveaux comptes sont inscrits en temps réel pour proposer et évaluer des notes ». « il s’agit d’un outil essentiel pour lutter contre la désinformation potentielle. »
Durant les conflits nous avons par exemple relayé de nombreux posts OSINTDefender qui relayait l’actualité. Le compte X de la « Community notes » a remercié « tous les contributeurs qui ont été actifs ces derniers jours, aidant à tenir les gens sur X informés ». Il a également précisé que « Les notes liées aux attaques couvrent un large éventail de sujets allant des images de guerre hors contexte aux vidéos de protestation/célébration sans rapport ou obsolètes, aux fausses vidéos réalisées avec des simulateurs de jeux, aux allégations de financement américain liées au conflit, aux allégations sur des événements spécifiques ayant eu lieu dans le conflit, et plus encore. Vous pouvez voir des exemples sur HelpfulNotes ». Elon Musk a retweeté ce post en déclarant : « Merci de combattre pour la vérité ».
Aujourd’hui Thierry Breton annonce avoir reçu « la réponse de X à notre lettre soulevant des inquiétudes concernant la propagation de contenus illégaux et de désinformation liés à l’attaque terroriste du Hamas contre Israël. L’équipe d’application du DSA analysera la réponse et décidera des prochaines étapes. »
Les inquiétudes de Thierry Breton concernant la modération de Twitter ne datent pas d’hier. Le commissaire européen s’était rendu en 2022 à Austin dans le Texas, où Elon Musk a son usine Tesla pour rencontrer le milliardaire américain. Il lui avait indiqué qu’il devrait se plier aux règles du DSA.
Depuis que le milliardaire a racheté Twitter pour 44 milliards d’euros, les révélations se multiplient dans le cadre des Twitter Files, dans lesquels on apprend notamment que les services de renseignements américains avaient des rendez-vous réguliers avec les anciens cadres du réseau social pour faire pencher la balance en faveur de Joe Biden, lors des dernières élections présidentielles. On découvre par exemple comment le Washington post avait été censuré par Twitter alors qu’il avait sorti un article quelques jours avant les élections mettant en évidence les liens qui unissaient les Biden pères et fils avec l’Ukraine. La chambre des représentants des États-Unis a d’ailleurs depuis évoqué une ingérence. Ces révélations n’auraient sans doute pas été possibles si l’ancienne direction était restée en place et que le milliardaire n’avait pas repris la tête de l’entreprise.
Le dernier volet des Twitter Files évoque quant à lui le Virality Project, un partenariat public-privé censé lutter contre l’infodémie qui s’est révélé une machine de censure ciblant toute information allant à l’encontre du récit de l’establishment sur les vaccins COVID-19. Au moins six grandes plates-formes de réseaux sociaux (Twitter, Google/YouTube, Facebook/Instagram, Medium, TikTok et Pinterest) auraient été intégrées à ce programme.
Et il semble qu’Elon Musk en aurait encore sous le coude. Selon certaines rumeurs, les anciens cadres de Twitter auraient censuré des tweets affirmant que Brigitte Macron était un homme ou d’autres qui faisaient référence à des attaques cardiaques potentiellement liés au vaccin anticovid. Le milliardaire avait notamment publié un tweet dans lequel il se comparait à un oiseau qui hésitait à franchir une ligne. Il semblerait qu’Elon Musk ne soit pas loin de franchir le Rubicon.